Qu’est-ce-que ça peut faire ? Une chronique sur Benjamin Biolay, pourquoi faire ? Les anti et les pour ayant sans doute leur avis ; la plupart d’ailleurs sans avoir même écouté un seul morceau de l’album. Mais Biolay est comme ça, le dandy détaché et prétendu hautain que l’on déteste ou que l’on adore. Il faut dire que le chanteur est en partie responsable de l’antipathie suscitée par son personnage : Biolay consentant un peu malgré lui à se rendre sur les plateaux de télé pour ne parler finalement que de sa vie privée, de rappeler sans cesse ses déboires avec Salvador ou son aversion pour Bénabar et les autres tenants de la néo chanson réaliste. Avec sa mine boudeuse et sa timidité patente, Biolay apparaît bien moi sympathique que la rigolotte Anaïs ou l’agité Cali. Dommage pour lui, pire, injuste. Ici, il ne sera question que de musique ou presque. Trash yéyé fait suite à l’insuccès – immérité – de A l’origine. Il en est même la résultante. Biolay, replié sur lui-même (ou en tout cas avec Bénédicte Schmitt, co-réalisatrice de l’album), encore moins sûr de lui, a passé un temps infini à faire son album. 57 titres enregistrés en plusieurs étapes, d’abord seul puis soutenu par un orchestre et des chœurs. 57 pour n’en retenir que 12. Un titre un peu trop anecdotique (Dans la chambre d’amis) pour 11 excellents. Incroyable travail de recherche, de peaufinage et d’écrémage pour ne retenir que l’essentiel. Trash yéyé est un album moderne dans son intemporalité : ils ne sont pas si nombreux ceux qui mêlent des éléments électroniques dans une vision orchestrale avec cette parfaite assimilation (Douloureux dedans),
ceux qui ont intégré Massive Attack, eux mêmes marqués par le dub et qui en nourrissent leurs chansons sans exotisme de pacotille (laisse aboyer les chiens). Chez Biolay, les chansons s’écoutent sur plusieurs niveaux : celui de la mélodie pop badine et mélancolique, celui des atmosphères sombres à l’extrême qui transpirent derrière chaque harmonie. Le nom de l’album vient de là ; en caricaturant à l’extrême ces deux énergies contraires. L’ambiance est complexe, profonde, noire mais laisse respirer aussi des clairières enchanteresses (surtout grâce aux chœurs célestes, élément récurent surtout l’album). Il y a surtout du souffle dans sa musique, celui-là même qui manque à la chansonnette ras-les-pâquerettes de la plupart de ces collègues français. Biolay est un spécimen rare : celui d’un romantique désenchanté, d’un onirique misanthrope à la plume acide et nostalgique (De beaux souvenirs). Les bienveillants le comparent à Gainsbourg, celui à l’ambition formelle de l’homme à la tête de chou ou de Mélodie Nelson, celui aussi plus naturiste se contentant d’une jolie guitare bucolique pour lancer sa chanson. (Dans la Merco benz). En tout cas, Biolay apparaît en France comme le Dernier des Mohicans, comme une exception de quelqu’un ayant une vraie vision musicale tout en restant grand public et pouvant bénéficier des moyens nécessaires (encore) pour les réaliser. Que les indécis prennent le temps de se faire un vrai avis sur l’album. C’est tout ce que Benjamin Biolay mérite.