A ce jour, c’est le plus grand disque de la carrière de Depeche Mode mais aussi le plus méconnu, celui né des excès, de la repentance. Composé par un Martin Gore alcoolisé, livré à ses seuls démons (Alan Wilder a jeté l’éponge juste après la tournée mégalo Devotional), Ultra est tout à la fois un condensé de noirceur et d’espoir.
C’est certainement l’œuvre la plus aboutie du groupe (c’est dire, vue la qualité de l’ensemble de leur discographie), celle qui laisse définitivement derrière elle les préjugés de garçon coiffeurs pour accoucher de chansons purement intemporelles, habitées par un Dave Gahan à mi-chemin entre sa mort clinique et la fin de sa désintoxication. Caché dans un coin, l’éternel bibelot Andrew Fletcher maintient l’équilibre instable, comme lui seul sait le faire depuis maintenant trente ans. Guitares acérées ou lumineuses, cordes soyeuses, rythmique organique ou sombrement machinique se déroulent autour de synthétiseurs plus discrets et majestueux que jamais. Et les chœurs de Gore et Gahan s’entrelacent comme deux âmes damnées qui supplient qu’on les absolve (« Insight »).
Depeche Mode a définitivement passé un cap avec Ultra : de groupe pop de qualité (galons obtenus avec une hausse constante de niveau, disque après disque), il est devenu référence incontournable, et ceci dans la plus grande sobriété. Pour mémoire, le groupe n’a même pas tourné pour défendre l’album :Gahan était alors trop fragile, Gore, certainement épuisé.
Ironie du sort, le chef d’œuvre de Depeche Mode, pur produit des eighties, est donc sorti en 1997. Depuis le fossé qui sépara Songs Of Faith And Devotion (1992) d’Ultra (1997), les trois de Basildon prennent désormais toujours leur temps pour sortir un nouvel album, toujours surprenant. Mais seul Playing The Angel (2005) peut rivaliser avec la splendeur de celui-ci. Soufflez la poussière, éteignez la lumière, posez le CD… Whatever I’ve done, I’ve been staring down the barrel of a gun : la magie commence.