Violator est le 7ème album studio du groupe de synthpop britannique Depeche Mode, sorti en mars 1990. Il a été produit par le groupe et le producteur légendaire Flood. Il constitue l’apogée critique et commerciale du groupe.
Auparavant, Martin Gore (multi-instrumentiste, principal parolier et compositeur du groupe) soumettait des maquettes assez complexes et denses avant de rentrer en studio. Cette fois, il lui est demandé par Flood de composer des maquettes relativement dépouillées, laissant ainsi de l’espace de création artistique pour le groupe, et également pour pouvoir changer de direction. Martin Gore met ses idées en commun avec celles des autres et n’exerce plus son hégémonie.
La première grosse différence sur ce disque est le travail sur le son. En effet, même si la synthpop est un genre musical propre aux années 80 avec un côté très synthétique et kitch, le groupe a réussi ici à insuffler quelque chose de beaucoup plus organique et acoustique. Le mixage a été confié à François Kevorkian, un DJ et ingénieur du son franco-arménien qui a travaillé auparavant avec Kraftwerk, U2 et même The Cure (tous faisant partie de mes groupes préférés). Il est connu pour avoir fait de nombreux mixages pour la dance music et est un des précurseurs de la house. La première inspiration de Depeche Mode reste Kraftwerk, mais en laissant de côté la froideur technologique des synthétiseurs et des machines.
Le deuxième point concerne l’instrumentation et la création d’une atmosphère. En effet, le groupe se contentait auparavant d’écrire des musiques assez dansantes et catchy, mais sur cet album-ci ils vont au-delà de ça et ont réussi l’exploit de parfaitement équilibrer l’œuvre - entre tubes radio-friendly (Enjoy The Silence, Personal Jesus, Policy of Truth, World in My Eyes) et de petites perles atmosphériques, ténébreuses et torturées (Sweetest Perfection, Clean, …).
La tonalité de l’album reste malgré tout très sombre, en témoigne sa pochette : noire profonde avec une rose rouge, assez glam/gothique, et un titre brutal en allusion aussi bien à la violation de la loi qu'aux groupes de heavy metal qui prenaient des noms agressif, malsains et provocateurs (Metallica, Megadeth, Slayer, Cannibal Corpse, etc). Le contraste entre la brutalité du nom de l'album et la douceur de la rose est total. A tout cela s'ajoute les thèmes de la culpabilité, de la religion, des fétiches sexuels, du nihilisme, de la misanthropie et des drogues.
Décidés à toujours faire évoluer le « son Depeche Mode », le groupe insère pour la première fois de la guitare. Cette dernière est en partie la cause du son plus « organique » et apporte une touche bluesy à l’album – avec des mélodies simples, addictives et charnelles. Martin Gore a compris le blues et insuffle tout ce qui fait son essence dans ses compositions catégorisées de « progressive techno-pop » à l’époque, par l’ensemble de la presse spécialisée. Ce mélange singulier et improbable représente à lui seul la réussite artistique et commerciale de Violator. N’oublions pas que le clip de Personal Jesus – avec son côté très Eastwoodien, fut un énorme carton sur MTV et a ainsi propulsé l’album au top des charts.
Une chose qui m’a frappé dans cet album et que j’ai très peu lu (voire pas du tout) dans d’autres critiques concerne la structure des chansons : il s’avère que pour un album de synthpop, presque tous les morceaux durent +/- 5 minutes et sont donc loin du format traditionnel de la musique pop (entre 2min30 et 3min30, en général). De plus, toutes les chansons possèdent un pont (un court passage de transition où tout se ralentit, en général après le 2ème refrain) hyper dark et très différent des autres parties de la structure. Martin Gore démontre ainsi qu’il est au sommet de son inspiration, en mettant au passage une petite gifle à toutes les personnes qui dénigrent la musique pop – la trouvent trop simple et facile.
A tout cela s’ajoute l’énorme usage de samples à travers tout l’album. En effet, dans presque toutes les chansons on retrouve de courts échantillons sonores parsemés un peu partout, rajoutant du détail, des textures sonores et une atmosphère. Le plus connu d’entre eux reste l’intro de Clean : inspiration directe de One of These Days de Pink Floyd, sorti 19 ans plus tôt.
Cet album m’accompagne depuis l’enfance, et pourtant je le redécouvre à chaque écoute. Il m’arrive systématiquement de dénicher des détails et des notes que je n’avais jamais remarqués auparavant. De plus, ce disque constitue pour moi un long tunnel souterrain baignant dans l’obscurité : on ne sait pas ce qui se trouve au bout, mais on est prisonnier de ces murs et on veut atteindre la sortie coûte que coûte. On est imprégné de sa noirceur durant tout le voyage, malgré quelques éclats lumineux. Leur prochain album Songs of Faith and Devotion sera sur la même continuité, tout en mettant des touches gospel et grunge.