J’appréhende réellement cette chronique… « Violator » … comment dire? C’est un de mes disques préférés…un de ceux avec lesquels (peut-être le premier même) j’ai commencé à développer une certaine passion pour la musique! De plus Depeche Mode étant très probablement mon groupe préféré et cet album (dont le nom à consonance violente a été choisi pour se moquer des groupes de heavy metal) étant régulièrement considéré par la majorité des fans et des critiques comme leur sommet absolu vous vous doutez bien que c’est l’équivalent d’une bible pour moi non? En tout cas il s’agira d’un véritable record pour le groupe…si « Music for the masses » avait pas mal joué dans l’augmentation croissante de la popularité du groupe, « Violator » (ou « album de la maturité » pour les critiques traditionnelles) est le disque qui a définitivement fait exploser le groupe au niveau mondial et qui lui a valu un respect de la part d’un public plus large que jamais. Nombreux seront les artistes (de blues, de metal, de pop, de rock) qui reprendrons les principaux succès de cet album, nombreux seront les copies vendues de cette perle à travers le monde (plus de 10 millions quand même…), et pour finir nombreux seront les anciens détracteurs du groupe qui s’inclineront face à la puissance musicale dégagée par le quatuor en décidant de venir vers eux la bouche en cœur et la queue entre les jambes…
Avant de sortir en 1990 l’album a déjà eu droit à son coup de buzz avec le single mythique « Personal Jesus » : …. »toum doum….REACH OUT AND TOUCH FAITH!!! » un riff de guitare bluesy ultra rentre-dedans et accrocheur survient dont ne sait où suivi d’une rythmique diabolique et décadente! Diantre! Est-ce bien Depeche Mode? LE Depeche Mode qui a pondu « Just can’t get enough » et « People are people »??? Bon n’exagérons rien si la guitare fait pour la première fois une apparition assez tonitruante la touche électro est encore bien présente…notamment dans la version de l’album où le morceau se termine sur des rythmiques electro/pop synthétiques de haut vol absolument classes et bien foutues. Le groupe se décrivait à l’époque comme un groupe d’electro utilisant la guitare, et non comme un groupe de rock utilisant l’électro…ce que je trouve assez parlant et qui décrit assez bien la teneur du single et du disque de façon globale : une musique froide et synthétique dont les quelques touches de guitare par ci par là donnent une réelle consistance à certains morceaux! Le morceau n’est pas seulement un chef d’oeuvre du rock avec un riff de guitare mythique, et des chorus devenus cultes (« reach out and touch faith »), il est aussi un des morceaux les mieux écrits du groupe… Les paroles font aussi bien référence à un service publique de l’époque où l’on pouvait se confesser par téléphone qu’à une conversion religieuse basée sur la confiance (« Feeling unknown. And you’re all alone. Flesh and bone. By the telephone. Lift up the receiver. I’ll make you a believer. »). Le « Personal jesus » étant aussi bien un prêtre auquel on peut confesser ses péchés qu’un hommage à Elvis Presley dont la femme le nommait son « jesus personnel » (merci Philippe Manoeuvre pour l’anecdote!). Bref, tant de symbolique et de double-sens possibles dans un seul texte, le tout avec une thématique religieuse plus que jamais bien exploitée…chapeau bas messieurs!
Ce chef d’oeuvre est précédé par deux autres chef d’œuvres…et succédé par six autres chef d’…euh oui en fait il n’y a QUE des chef d’œuvres ici…alors on va parler de morceaux ou de titres parce que sinon ça va vraiment faire délire de fanatique (« tend tes mains et touche la foi? ») plutôt que chronique sérieuse et professionnelle! « World in my eyes » le titre d’ouverture du disque et un des 4 singles extrait est absolument grandiose…vous vous souvenez des bruits de machines sur « Some great reward »? Des blip blop blop des trois premiers disques? Et même des hhhh…hhhh…hhhhh…fffff…et autres bruits suspects de « Music for the masses »? Ouais? Bon ok…bah oubliez-les alors! Ici vous pénétrez dans l’arène des dieux de la musique électronique…une telle pureté et une telle magie se dégage de ces notes simples agrémentées de toujours plus de textures et de nappes synthétiques à mesure que progresse le morceau…on sent bien qu’il y a une foultitude de sons réunis mais que l’ensemble est tellement compact qu’on serait incapable de les distinguer! Le rythme est subtile et intelligent, le morceau évolue toujours en crescendo et dégage des refrains planants où les voix couplées de Dave et Martin donnent toujours l’impression de passer dans une dimension parallèle. Après une telle cathédrale sonore (où le groupe semble avoir gagné 20 ans d’un seul coup en modernité) vient « Sweetest perfection » qui parle assez explicitement de drogue. Chanté par Martin, il s’agit d’un sacré tour de force (l’époque sombre du groupe débute enfin même si à l’époque Dave était encore clean…) : le rythme est lourd comme le plomb (les grands coups de percussions métalliques présents ici sont redoutables) et le chant réellement habité…des synthés sous forme de violons viennent surprendre l’auditeur vers la fin comme pour apporter un petit plus à l’ambiance solennelle du morceau.
Par ailleurs, les touches symphoniques déjà présentes sur l’album précédent sont plus que jamais maîtrisées…plus discrètes mais du plus bel effet, sur « Halo » par exemple où les refrains magistraux d’une classe impériale sont accompagnés de discrets violons pour faire décoller le morceau vers des sommets de génie que l’on aurait à peine suspecté il y a quelques années. Le groupe se permet toujours plus de richesses sur le plan musicale…rien ne semble pouvoir stopper sa créativité! Que cela soit dans les envolées symphoniques, la musique new age planante : un « Waiting for the night » très beau et très intimiste où les voix de Dave et Martin font encore des miracles, sans parler de « Blue dress » second morceau chanté par Martin…tout simplement sublime. Ou bien les interludes expérimentales entre les morceaux (il y en a 2…toutes les deux réussies). Le climat résolument sombre et nocturne de l’album est parfois tempéré de façon cohérente par quelques tubes…notamment « Enjoy the silence » qui reste à ce jour le plus grand succès de toute la carrière du groupe.
Expliquer le succès de « Enjoy the silence » peut paraître simple quand on voit le résultat final : un feeling mélodique ultra-aguicheur sur le refrain, des accords de guitare discrets et efficaces, un chant pour le moins pesant qui créé un effet de contraste saisissant avec le rythme pop et élancé du morceau…tous les ingrédients pour faire le grand classique sont là! Et pourtant…c’était pas gagné…car avant d’être un hymne de stade et un single destiné à passer en boucle à la radio et à conférer au groupe le statut d’artiste incontournable…ben « Enjoy the silence » c’était une…ballade! Mais ce grand homme qu’est Alan Wilder…(le petit génie qui lors de son intégration au groupe pouvait jouer leurs partitions en buvant son café ou lisant son journal…) a senti qu’il manquait un truc! Alors qu’est-ce qu’il a fait ce petit malin? Ben il a passé la nuit à le bricoler pour lui insuffler un rythme et une puissance qui fasse décoller la chanson (avec l’aide du producteur « Flood ») et ça a donné la tuerie universelle qu’on connait! Oui plus que jamais « Violator » a été avant tout un vrai travail de groupe, un groupe content de travailler ensemble et avec une véritable émulation collective qui lui permet de donner le meilleur de lui-même (ce qui ne sera pas le cas du prochain album…concernant la bonne entente et l’émulation collective j’entend…)!
Bref…dire également que « Policy of truth » est un autre grand chef d’oeuvre du disque et expliquer que sa mélodie sombre et tourmentée couplée à sa rythmique pop et son refrain mémorable en fait un chef d’oeuvre de la musique au sens large peut paraître désuet le plus simple est encore de l’écouter…D’ÉCOUTER TOUT L’ALBUM SI CE N’EST PAS DÉJÀ FAIT SACREBLEU…DE LE REECOUTER SI VOUS AVEZ PAS TROUVE CA EXCEPTIONNEL…DE LE REEEEECOUTER JUSQU’A CE QUE VOS OREILLES SOIENT LAVÉES (« Cleans ») OU QUE MORT S’ENSUIVE NOM D’UN CHIEN!!! ET UNE FOIS QUE CA SERA FAIT IL NE VOUS RESTERA PLUS QU’A APPRÉCIER LE SILENCE!!! Hum…bon désolé je m’emballe…mais après tout un album qui se termine sur un morceau qui s’appelle « Clean » où son chanteur dit n’avoir jamais été aussi clean alors qu’il sombrera dans la drogue peu de temps après a de quoi rendre fou il faut dire! Comment Dave Gahan peut-il chanter des paroles anti-prophétiques à ce point? En tout cas ce titre de conclusion conclue bien l’album avec un travail sonore toujours plus riche et des bruits légèrement futuristes qui créent par leur complexité une atmosphère sombre et mystique assez sournoise!
En fait, le gros point fort de « Violator » outre la qualité géniale de chaque morceau qui tire son épingle du jeu par un rythme ou une mélodie particulière (mention spéciale aux bends de guitare discrets mais ultra efficace qui ponctuent « Policy of truth »), c’est de combiner une cohérence remarquable (les morceaux ne se sont jamais aussi bien enchaînés sur un de leurs albums) tout en proposant un lot tout à fait raisonnable de tubes! Ce n’est pas pour rien si l’album est souvent le mieux représenté de leur carrière en concert d’ailleurs! La richesse musicale de l’ensemble est assez bluffante : entre rock, pop, new wave moderne, sonorités à la fois symphoniques, métalliques et électriques…le mélange est assez unique!
Mais « Violator » sera également un album à double tranchant pour Depeche Mode…un cadeau empoisonné…car le groupe conscient que rien ne sera plus jamais comme avant avec un tel disque et que la barre est mise très haut pour la décennie 90 va sombrer dans une pression (voire dépression) très intense et nocive pour son avenir pour essayer de faire au moins aussi bien la prochaine fois! Qu’on se rassure car Martin Gore (devenu autant guitariste que claviériste) a plus d’une touche à son synthé (ça on l’aura remarqué hein…) et plus d’une corde à sa guitare…car « Songs of faith and devotion » sera un renouveau supplémentaire pour le groupe…plus rock que jamais! Pour le moment, le phénomène Depeche Mode est lancé et rien ne semble pouvoir l’arrêter…