Alors qu'il commence à se faire légèrement connaître dans le monde du rap, Fuzati, sous le titre du Klub des Loosers (en duo avec DJ Orgasmic) réalise en 2004 un album événement : Vive la Vie. Des années avant qu'Orelsan popularise en Héxagone le concept du rappeur looser, le Klub le met en avant, comme une définition de l'existence.
Misanthropie, suicide, amour ratés sont les thèmes de prédilections de Fuzati, qui va être aidé par James Delleck pour des compositions de haut niveau. Arrivant à la fin de la vingtaine, Fuzati souhaite sortir de son carcan et amener des textes pleine d'une rage nihiliste d'adolescent. Le résultat est déconcertant, le flow sans compromis mais également sans pareille de Fuzati lié aux compositions étranges de Delleck et Orgasmic amène l'auditeur à se surprendre d'un tel rap.
Il faut dire que le Manège des Vanités n'est pas la manière la plus douce de rencontrer cette nouvelle forme de rap, totalement unique.
Outre les textes incroyablement bien pensées, pleine d'une sincérité et d'un message morbide au possible, le Klub se remarque par le flow étrange et déconcertant de Fuzati. Presque bancal, handicapé selon certains, le rappeur est pourtant évidemment à l'aise dans un ton où la monotonie n'est brisée que par la haine. Il faut être préparé, Fuzati a décidé de mettre sa forme au service du fond. Ici, il n'y aura pas de flow doux et facile d'accès pour les enfants. Ici, Fuzati utilise sa technique pour coller à son propos.
L'album se centre principalement sur la thématique de l'amour-échec, de la jeunesse qui échoue à évoluer et du sentiment de solitude. Un côté adolescent que Fuzati revendiquera par la suite pour ce qu'il nommera être une trilogie. La fin de l'espèce représentant l'aspect « adulte ».
On notera Avec les Larmes, Ne plus y croire, de l'Amour à la Haine, Un peu seul, Pas Stable, Depuis que j'étais enfant, Perspectives. Toutes contiennent cette thématique fabuleuse où l'échec amoureux renvoie en miroir à l'échec de soi, de son enfance effacé, marquant définitivement Fuzati.
Les autres messages sont pourtant présents. La médiocrité humaine est ainsi l'ennemi numéro 1 de Fuzati qui critique ouvertement la vanité des hommes, pourtant sans aucun talent, dans Le Manège des Vanités et Baise les Gens (un hymne à la vie). Sous le Signe du V est dans la même catégorie, Fuzati s'en prenant à sa ville d'origine, Versailles, et à ses concitoyens. De la même façon, il brise la pseudo-image de rappeur de banlieue que l'on pourrait être pléonastique. Fuzati aime le rap, il en fait, il est donc rappeur, qu'importe qu'il n'ait pas de street-credibility, il a les textes qui la remplace.
On comprend cependant que c'est pour ce genre d'engagement et d'origine que Fuzati n'ait pas aimé par le milieu hip-hop. Il faut dire qu'un titre comme Dead Hip-hop, en 2004, montre bien la vision que le versaillais à de ce milieu. Notons que Disiz la Peste, qui est pourtant un rappeur que j'adore, n'aura le même constat qu'en 2009.
Je me permet une interlude pour souligner d'ailleurs à quel point il est difficile d'écouter d'autres rappeurs comme Disiz ou Orelsan après le Klub. Ceux-ci semblent, en effet, mitigé, par rapport à l'aspect « sans compromis » de Fuzati. On ne va pas jouer à « qui pisse le plus loin », mais il semblerait évident que si c'était le cas, on sait d'avance qui gagnerait.
Des sujets plus surprenant et aussi plus glauque (était-ce possible) sont présents dans l'album. Poussières d'enfants évoque ainsi la mort des enfants, de manière cruelle et sans retenue, Fuzati parle, avec une absence notable de compassion, la mort d'enfant mais aussi les réactions des familles. C'est cruel à souhait.
Notons aussi Toute la Vérité, beaucoup plus dingue qu'on ne pourrait l'imaginer, qui peut se résumer à cette phrase « je passe du coq à l'âne comme dans une partouze à la ferme ».
On oubliera pas les nombreux interludes avec Anne-Charlotte qui ponctuent l'album. Un échec sentiment de Fuzati dont la fin, sans véritable réponse, peut laisser des doutes sur l'issue de tout cela. On s'amusera cependant des détails présents et de la véracité du propos, comment ces petits moments de pauses sonnent tout aussi juste que le reste des textes.
Il faut dire que Vive la Vie est un album rempli de punch-line. Disque sans compromis, sans soumission, sans retenu, évidemment difficile d'apprécier dès le début un flow pareil, si différent de ce qui « doit » se faire, mais c'est la force de Fuzati. Ce n'est pas de la colère gratuite, c'est de la haine pure. Venez vous bercer dans Vive la Vie.