Je viens d'écouter Everybody know this is nowhere, et c'était chouette, fiévreux, comme disent les critiques, et ensoleillé ; les sons bruts et lourds de Californie, il n'y a pas à dire, ils sont quand même légers, rêveurs, doux et tendres. La distorsion sait se faire étrangement délicate jusqu'à cette dernière chanson, délire agréable, jamais violent. Et je lisais donc ces critiques, qui parlent de grunge, et je ne sais pas trop vous, j'ai peur de me sentir seul, le grunge ça ressemble plutôt à ça.

White light / White heat, sorti un an avant, et quelques mois, mais à une telle distance, aucune importance. White light / White heat, le Velvet s'en va, John Cale et Lou Reed aux commandes, débarrassés de tout, peuvent enfin s'amuser ; plus de blondasses à laisser chanter, plus de producteur-guest-star à satisfaire, ce disque là -cet unique disque d'ailleurs mais ils ne le savent pas encore - n'a aucune limite musicale ou thématique. Même si les textes sont en grandes parties écrit par Lou Reed qui n'hésite pas à ressortir une courte nouvelle de son adolescence, les souvenirs traumatisés ses premières séances d'électrochocs et va jusqu'à se laisser emporter dans une chanson passionnée dédiée à sa seringue et petite soeur de défonce, Ray, dans un brouillard saturé.

Parce que la saturation ça sera le mot d'ordre. Mettons nous d'accord là dessus. A côté de cette dernière, même Neil Young a l'air d'un musicien classique en plein récital devant la cour de Vienne.

On a donc six chansons, et ça commence en douceur, la chanson qui donne son titre à l'album - ou l'y prend, peut être, je n'en sais rien en fait ; mais je préfère ce sens - White light / White heat, agréable montée d'amphétamine, agréable et tellement prenante. Si vous n'avez pas abandonné ici, vous êtes sur la bonne - bonne ? - voie.

Etrangement, on s'ennuie dans la deuxième partie de la soirée. "Chanson" longue, huit minutes, quelque chose comme ça, à droite, cette musique qui est maintenant ancrée en vous, qui vous balance comme une drogue, et de l'autre, vraiment de l'autre, ce sont deux bandes mono, une voix, John Cale nous raconte, une histoire, des étudiants, débiles, une histoire qu'on raconte, quelque part, dans la pièce, on a du mal à s'y accrocher, et pourtant on la suit, sans vraiment vouloir, sans tout comprendre ; on pourrait en rire, ou s'en foutre, de ce mec, dans sa boite, et de cette fille, on peut même sourire vers la fin mais il n'y a pas de fin.

La musique repart, revient, comme la marée, comme une montée qui n'arrête jamais, mais c'est un peu ça les amphets on dirait, et c'est Lou Reed qui s'avance vers nous, qui commence à nous raconter d'une voix douce et froide cette histoire de travesti récupéré par l'hôpital, par moment il tremble presque, John et Maureen s'amusent derrière, font des bruits, des voix, ils crient, et la musique continue, reste, et nous entoure, et les voix se tendent autour de la table d'opération ; des souffles, un souffle, et tout s'éteint. La panique, la musique.

Et puis, il y a cette chanson, qui repart, terriblement jolie après tout ça, et courte, à peine deux minutes. Un souvenir de Nico semble se dégager de ces instruments inattendus ici ; la chanson était écrite pour elle d'ailleurs, mais non, ça sera encore Lou au chant pour cette pause, comme les premiers signes d'une descente. Dont personne ne peut vouloir ; pas ici, pas maintenant. Pas comme ça.

Personne, en effet. Le groupe s'est relevé, ils ont l'air en pleine forme, je les soupçonne d'avoir repris quelque chose, discrètement, tout ce monde s'agite, s'enflamme ; cinq minutes de rock'n'roll, et quelque chose de violent se dégage, et les guitares le crachent avec violence, les sons se perdent à la frontière des bruits tordus, la voix de Lou Reed n'a plus rien de douce, c'est une remontée, une remontée plus intense, plus violente, plus physique ; les sons au bord des sens nous emportent, nous précipitent, vers la fin.

La fin, Sister Ray, Lou Reed danse, sa seringue à la main, un flot de musique nous prend une fois encore, comme déjà entendu, sa voix n'est plus la même ; chanson fleuve - oh, oh - d'une vingtaine de minutes, il nous parle de gens, et de lieu, et semblent s'y perdre aussi, et on repense un moment à Heroin, moment de calme intense et infini au-dessus de cette fureur, de cette tempête de sons électriques qu'ils enregistrent d'une seule prise. La chanson monte en violence, régulièrement, par paliers qu'ils espacent d'une touche de calme, comme des vagues de plus en plus fortes qui vous écraseraient sur la sable, tout le coeur de la chanson n'est que reflux, prise et reprise de toujours plus de speed. Jusqu'à l'extinction totale du son qui vous laisse là, seul, dans un sacré silence.

Evidemment, hélas, le groupe ne se remettra pas de cet album, tout ça nous mènera à la scission entre Lou Reed et John Cale, presque la fin du Velvet Underground ; Lou Reed essayera bien de le remplacer pour un troisième album presque solo avant de disparaitre avant la sortie du quatrième. Evidemment, aussi, tout ça ne s'est pas très bien vendu. Mais on s'en doutait. Ceux qui l'ont écouté comme ceux qui ont abandonné avant la fin.

Concluons quand même sur une touche de joie et de vie avec quelques reprises qui vont jusqu'à être un peu cool.
Dans l'ordre Bowie, Joy Division et Nirvana, pour revenir à notre touche de Grunge.
http://www.youtube.com/watch?v=XT0T7TLuySI
http://www.youtube.com/watch?v=ex667Cs37GQ
http://www.youtube.com/watch?v=pUOdoTa4crc
JZD
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le 1 août 2012

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le 1 août 2012

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J. Z. D.

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