« Drôle de nom ». Un peu à l'image de l'album, d'ailleurs, et de ce drôle de groupe. C'est la première chose que je me suis dit, du haut de mes quinze ans, en le déchiffrant, ce fameux titre : « Wild Mood Swings », avec ses deux « o » groovy en plein milieu, ronds comme des soucoupes. « Fameux », parce que parmi les fans hardcore, « Wild Mood Swings » (« WMS » pour les intimes), c'est l'album de la discorde, avec un grand « A ». Pour beaucoup, il a été synonyme de divorce avec Smith ; quant aux autres, ceux qui sont restés, qui ont tenu bon, contre vents et marées, ils tentent encore aujourd'hui, presque quinze ans plus tard, de comprendre les premiers, ce qui constitue le cœur du débat. Certains phénomènes de foire, autant que peuvent l'être les femmes à barbe ou les frères siamois, le vénèrent même, pour d'obscures raisons. « Non, les amis... », peut-on lire ça et là sur les nombreux forums consacrés aux Cure, « ...Ce disque n'est pas si nul ! Mais pourquoi êtes-vous partis ? Que lui reprochez-vous ? ». Mais rien n'y fait, et chacun campe sur ses positions. Aimer « Wild Mood Swings », c'est prendre le risque de voir sa crédibilité s'effriter.
Ces interrogations, pourtant, méritent d'être soulevées, car elles sont loin d'être idiotes. Elles deviennent même totalement légitimes à l'écoute de « Want », le morceau d'introduction, chef-d'œuvre d'existentialisme survitaminé comme Smith en a le secret. Mais celui-là, typiquement « curesque », remporte bizarrement l'adhésion de tout le monde, en règle générale. Non, les problèmes commencent souvent avec le rock vicieux de « Club America », où la voix façon Marilyn Manson (encore méconnu à l'époque) se distingue comme étant le principal argument « contre ». Un titre qui envoie plutôt du lourd niveau guitares, et qui se révèle finalement grisant, au moins autant que son jumeau « Trap » à la fin du CD !
« Wild Mood Swings » serait-il donc la victime malheureuse d'une chasse aux sorcières amorcée par des fans effrayés ? Pour l'heure, toujours pas de quoi s'inquiéter avec « This is a lie », chanson mélancolique qui voit les Cure sortir les violons de leurs étuis, sans tomber dans la mièvrerie. Ici, le « dark addict » reprend confiance, persuadé que « Club America » n'était en fait qu'une boutade ! Hélas pour lui, sa joie sera de courte durée : voilà qu'arrive l'impardonnable, l'improbable « The 13th », avec ses trompettes en forme de piqûres de moustiques et son décor mexicain. « The 13th », goutte de couleur vive qui fait déborder le vase, et qui sera suivie par bien d'autres ! Citons par exemple « Strange attraction », comptine douce-amère au xylo enfantin ; « Mint car », sans doute l'un des morceaux les plus gais jamais composés par le groupe ; « Round and round and round... » et « Gone ! », ratées mais toujours enjouées ; sans oublier « Return », bijou de pop aussi frais qu'un « Inbetween days » sorti dix ans plus tôt.
Oui, cet album possède une part de légèreté assumée. A en croire certains, qui s'en offusquent toujours en 2010, Smith et son clown maléfique les auraient poignardés dans le dos... Vile traîtrise ! La pochette, le titre et ses lettres dansantes étaient pourtant explicites, et toutes les chansons tristes qui le composent aussi ne parviendraient décidément pas à effacer cette déception, dont l'impact laisse un peu perplexe. Dans les années 80, « The head on the door » et « Kiss me kiss me kiss me », de la même veine, avaient en effet été plus qu'appréciés ; et si « Wild Mood Swings » était sorti à cette période, il aurait sans nul doute connu un succès identique ! A croire que tout cela n'est finalement qu'une question de contexte, et qu'une partie des fans attendait autre chose du Cure de la décennie 90, surtout après la tornade « Disintegration », et accessoirement, le grunge de Cobain. Un effet boomerang que Smith était loin d'imaginer, et qui le propulsa dans une sorte de torpeur qui a laissé des traces.
Pour ma part, je me suis souvent demandé si ce disque étourdissant n'était pas l'un de mes favoris du groupe. Mais en toute objectivité, je pense que ce sentiment vient certainement du fait qu'il m'a accompagné durant toute mon adolescence, à tel point que j'en connais presque tous les textes par cœur. Favori ou pas, au fond, qu'importe : il a réussi à me happer. Malgré ma jeunesse à l'époque, j'ai su déceler, derrière ses agréables pitreries (ou pas), que Smith était resté un clown triste (il le confirmera avec « Bloodflowers »). « Bare », « Treasure » et « Jupiter crash », belles à en pleurer, sont les témoins les plus probants de la sincérité et de l'authenticité de son âme désabusée. Sous le nez rouge et le maquillage, il y a toujours un homme ! Allez les enfants... On fait un bisou à Robert, et on en parle plus !