Le héros Spider-Man a failli ne jamais voir le jour. Les raisons étaient diverses : un héros qui se nomme l’homme araignée, ça ne peut pas marcher. Les gens ont peur des araignées. Un adolescent, ça ne fait pas sérieux. Des petits jeunes dans des rôles secondaires d’accord, mais pas dans le rôle titre. Peter Parker a trop de problèmes pour être un vrai héros. Les héros, on les imagine, costaud, beaux et sur d’eux. Avec tante May qui joue les mères poule, on ne peut pas dire qu’il est l’image d’un type qui s’assume.
Aucun enthousiasme de la part de Marvel pour ce héros. Quoi qu’il en soit, Stan Lee (au scénario) et Steve Ditko (aux dessins) ont choisis de ne pas écouter ceux qui les décourager, et ils ont lancés Spider-Man dans le magazine Amazing Fantasy. Naturellement, même là, ça n’a pas été facile. Personne chez Marvel n’avait donné l’autorisation de créer Spider-Man. Mais Stan Lee et Steve Ditko savaient qu’ils avaient un croup à jouer avec le titre Amazing Fantasy qui allait être supprimé. Tout le monde chez Marvel se fichait pas mal de ce qui pouvait passer dans le dernier numéro. C’était l’occasion rêvé d’introduire le personnage. Si le comité de Marvel avait raison, et que c’était un flop, peu importe, puisque, de toute façon, la série s’arrêté.
Non seulement notre bon vieux Spider-Man n’a pas fait un bide, mais avec son effigie sur la couverture du dernier numéro de Amazing Fantasy, il a offert à Marvel le triomphe le plus retentissant de l’année ! Évidemment, quand Marvel a vu les chiffres de vente, ils ont aussitôt lancé une nouvelle série qui vaut au héros de refaire surface six mois plus tard.
Amazing Fantasy #15 (août 1962) : Spider-Man !
Amazing Spider-Man (VOL.1) #1 (mars 1963) : Spider-Man
Amazing Spider-Man (VOL.1) #1 (mars 1963) : Spider-Man vs The Chameleon !
Amazing Spider-Man (VOL.1) #2 (mai 1963) : Duel to the Death with the Vulture !
Amazing Spider-Man (VOL.1) #2 (mai 1963) : The Uncanny threat of the Terrible Tinkerer !
Amazing Spider-Man (VOL.1) #3 (juillet 1963) : Spider-Man vs Doctor Octopus
Amazing Spider-Man (VOL.1) #4 (septembre 1963) : Nothing can stop… The Sandman !
Amazing Spider-Man (VOL.1) #5 (octobre 1963) : Marked for Destruction by Dr. Doom !
Amazing Spider-Man (VOL.1) #6 (novembre 1963) : Face to Face with… The Lizard !
Amazing Spider-Man (VOL.1) #7 (décembre 1963) : The Return of the Vulture
Cette intégrale contient aussi le fameux « Team Up » associant Spider-Man à La Torche, paru lui aussi en 1963 dans le deuxième supplément annuel de Strange Tales, un titre consacré au bouillonnant membre des Quatre Fantastiques.
Strange Tales Annual #2 (juin 1963) : On the trail of the Amazing Spider-Man !
Spider-Man, c’est surtout un anti-héros. On pourrait arguer que les deux créations précédentes de Stan Lee, qui déclenchent rétrospectivement la naissance de l’ère Marvel tout entière, à savoir les Quatre Fantastiques et Hulk, s’inscrivent dans le même registre. Mais Spider-Man est différent. La Chose des Quatre Fantastiques renvoie à l’archétype de l’homme enfermé dans un corps de monstres : la créature du Dr. Frankenstein. Hulk était essentiellement une variation sur le thème de Dr. Jekyll et de Mister Hyde, un autre monstre littéraire. Le mot est lâché : monstre. Dans les années précédentes, Marvel s’assurera une raisonnable prospérité, en multipliant les comics de monstres. Hulk et La Chose ne sont, à l’époque, que des dérivées, de leur effroyable aïeux, encore dénué de la véritable fibres tragique qui les rendra unique.
Spider-Man, lui, est dès le départ un anti-héros sans être un monstre, si l’on fait abstraction de la thématique de l’araignée (qui lui est associé et que Steve Ditko souligne par certains aspects de son esthétique, renvoyant au comics de monstres évoqués auparavant). Spider-Man est un homme, et par définition, la proie des doutes, des faiblesses et des imperfections qui nous caractérise tous, malgré ses super pouvoirs.
Dans le contexte de l’époque, le principe est révolutionnaire, et mis en évidence dès le premier épisode de la saga par la réaction de Peter Parker, après la découverte de ses nouveaux pouvoirs. Contrairement aux super-héros qui l’on précédé, il n’a pas de réflexe immédiat, presque pavlovien de s’engager à corps perdu dans une croisade altruiste contre le crime. Tout juste né, Spider-Man, pense à son profit : le monde du catch, puis de la télévision, paieraient cher pour les exploits d’un homme araignée, estime-t-il. Star, en un jour, il attrape la grosse tête, allant jusqu’à envoyer promener un policier, lui demandant de l’aider à appréhender un malfrat. Une attitude bien différente de celle d’un Batman tacitement auxiliaire du commissaire Gordon, et qui aura pour Spider-Man, de terrible conséquence.
Chaque nouvel épisode signé, Stan Lee et Steve Ditko réservent des surprises pour le lecteur, habitué à un certain comportement, de la part de ses super-héros, mais aussi à une certaine façon de les mettre en scène. Or, Peter Parker, exprime constamment doute, culpabilité, honte, et inquiétude, en raison de ses pouvoirs et de son identité secrète, loin des super-héros classiques, toujours sur d’eux-mêmes, et de leur bon droit. Spider-Man ne gagne pas toujours, il lui arrive de rater sa mission et de laisser filer le méchant. Il est incompris, et une grande partie de ses concitoyens ne le considère pas comme un héros. Il est même méprisé, tourné en ridicule, pourchasser par les autorités. Une bonne définition pour un super anti-héros.
Pour l’occasion, Spider-Man nous offre de nombreux alliés, et surtout de nombreux ennemis iconiques qui feront leur apparition dès cette intégrale, dont le Chameleon, Vulture, Lizard, Sandman et le Dr. Octopus, sa première bête noire.
Je l’avoue, je suis passé un peu vite sur Steve Ditko. Sans le remarquable talent de dessinateur et de narrateur de Ditko, Spider-Man serait un héros incomplet. Il faut aussi mentionne Jack Kirby qui a participé à la création du costume du super-héros. Le coup de crayon de Ditko, si particulier, a donné un style à la série qui l’a rend vraiment unique. C’est devenu une référence pour tous les artistes qui ont suivis, et ce, jusqu’à aujourd’hui. Son sens de la mesure, son intuition dans les scènes d’action et sa capacité à rendre crédible, les situations les plus insensés, ont marqués à jamais les premières aventures de Spider-Man et ont permis au titre de traverser les années avec la même réussite.
Spider-Man est le perdant le plus adulé du comics américain dans les années 60, puis sans doute le plus populaire des super-héros de notre temps, ironique pied de nez à ses constantes mésaventures couchées sur le papier.
Le perdant a fini par gagner la partie.