Une uchronie volaillère qui se tient
Leur révolte du 3 février 1979 a marqué une nouvelle ère : après les massacres et les combats d’usage, les poulets, désormais doués de raison, de parole et de préhension, sont devenus des humains comme les autres. Voilà pour l’argument d’"Elmer"… Mais au lieu de la série Z effilochée et gratuite que l’on aurait pu craindre, on se retrouve avec une uchronie volaillère qui se tient tout à fait.
L’auteur évite les parallèles historique plus ou moins lourds, laissant ce soin au lecteur : abolition de l’esclavage, Shoah, révolutions communistes, fin de l’apartheid, etc., on a l’embarras du choix, car Gerry Alanguilan ne ferme aucune porte, même pas celle de la parabole pour l’amour de la parabole. Il préfère centrer l’intrigue sur Jake, qui fait partie de la première génération de poulets nés libres.
Les parents rescapés des luttes de 1979, l’oncle qui a préféré mourir « en gladiateur », la sœur sur le point d’épouser un homme, le frère devenu acteur vedette… "Elmer" pose la question de l’adaptation à une société nouvelle, mais à l’échelle d’une famille, avec ce que cela implique de tensions, de déchirements, de secrets ressurgis. On trouvera donc les flash-backs d’usage — le père de Jake meurt et son fils lit son journal —, bien amenés et qui ne nuisent pas à la continuité du rythme.
Il aurait été question d’une famille humaine, je me serais ennuyé. Je ne suis pas non plus un grand amateur de comics, même si le dessin en noir et blanc de l’auteur philippin s’éloigne un peu de la tradition du genre et privilégie le détail réaliste, sans doute pour faire contrepoint à une situation de départ somme toute délirante. Et je reste bien incapable d’expliquer pourquoi c’est mieux passé avec des poulets.
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