Trop concis, arqué autour d’un propos vu et revu, The Killing Joke m’avait (un peu) laissé sur ma faim à la première lecture : non pas qu’il s’agissait d’un récit Batman médiocre, ou tout juste bon, bien au contraire, mais la brièveté de son intrigue et le peu de surprise étaient comme rédhibitoires dans l’ombre du gigantesque The Dark Knight Returns.
Toutefois, à l’aune d’une seconde chance bienvenue, l’association de Bolland et Moore révèle ses nombreux atouts : ce qui paraissait bref se mute finalement en une réussite incisive, brillamment condensée, l’apanage de tout bon one-shot, tandis que la propension conventionnelle du scénario révèle une inventivité tout en finesse, gage d’un superbe hommage au duo d’antagonistes le plus iconique de DC Comics.
Ce dernier, placé au cœur de The Killing Joke, y côtoie un autre objet, tout aussi primordial sitôt abordé la composante du Joker : celui de la folie. Ce n’est aucunement un secret de polichinelle, le Clown du crime n’obéit à aucune logique, son esprit tortueux échappant à toute forme de carcan, et il embrasse avec un flegme frénétique le désordre qu’il suscite... et révère dans le même temps. Inséparable de son plus farouche et intime adversaire, il forme avec le Batman une dualité aussi contraire que complémentaire, l’opposition entre stabilité, ordre et volonté d’un côté, vésanie, chaos et lâcher prise de l’autre.
Un joyeux programme, que le comic-book présent tente d’honorer au gré du trait somptueux de Bolland : un point immanquable et indissociable de son succès, la qualité des planches sublimées de jeux de couleurs lumineux servant au mieux les dernières frasques du Joker. Fait plutôt surprenant, Bolland était en réalité à l’origine du projet, et non pas Moore, ce qui pourrait en partie expliquer cette osmose aussi patente entre graphisme et récit.
Avec le papa de Watchmen à la barre, nulle inquiétude quant au fond de l’affaire : à juste titre, The Killing Joke oscille avec brio entre nature implacable (boom, Barb’), mise sur pied folle à souhait d’un manège dérangé sans grandiloquences, ou encore les affres et questions que peut receler pareil ménage que Bat’ et Jo’... quand bien même le premier cité s’échinerait en vain à en saisir le sésame libérateur. Quitte à se parjurer.
La narration, s’entrecroisant entre deux temporalités, s’impose enfin comme une preuve supplémentaire de l’intelligence modeste du récit, efficace dans la simplicité la plus totale : car de la blague sur scène, vectrice d’un pauvre bougre sans le sous, à la farce finale liant empoignade ambiguë et rires endiablés, il n’y a guère plus d’un pas, un fil très ténu même.
Celui de la folie.
Et entre vos mains : un classique intemporel.
PS : le bonus « Un Parfait Innocent » est sacrément cool aussi.