La traduction tant attendue des aventures originales de Lupin III

Lupin III parfois appelé Edgar de la Cambriole n’est pas un inconnu sur nos terres françaises, ses séries télévisées, ses téléfilms et ses films ont eu régulièrement l’opportunité d’être adaptés par chez nous.


Pourtant, le manga original lui n’avait encore jamais été traduit. Scandale ! Crée par Monkey Punch en 1967, le cambrioleur filou connut plusieurs séries, repris par d’autres à partir de la fin des années 1990.


On aurait pu croire que la sortie du dernier film, l’amusant Lupin III : The First, aurait pu être l’occasion de pallier à ce manque. Mais non, si on doit en croire la deuxième phrase du ruban promotionnel, « Avant Netflix, la plus célèbre adaptation du Gentleman cambrioleur ». Celui-ci cherche ainsi à profiter du succès de la série Lupin sur Netflix.


Bon. Pourquoi pas. Si cela nous permet lecteurs français de découvrir le personnage original tel que voulu par son créateur et d’offrir un peu de place à des rééditions, dans un marché éditorial obnubilé par les dernières nouveautés et où l’impression et la réimpression de mangas plus anciens est extrêmement rare.


Ce présent volume est d’ailleurs une anthologie, qui n’est peut-être pas représentatif de la série au long cours, mais qui propose une sélection d’épisodes assez significatifs. Ceux-ci couvrent une période entre 1967 et 1978, correspondant aux deux premières séries de Lupin III lancées par Monkey Punch.


Les habitués des Lupin animés ne seront guère surpris, même si celui de son auteur se révèle plus adulte. Lupin est avide d’or et d’aventure, échafaudant des plans pour tromper son monde. Cambrioleur malin, c’est un filou aux nombreux masques et autres moyens de dissimulation et de manipulation. Parfois sérieux, parfois enfantin, il s’agite pour arriver à ses fins. Lupin ne reste jamais immobile bien longtemps, si ce n’est pour jauger la situation ou profiter de la pagaille qu’il a crée.


Selon les histoires, il sera accompagné de ses comparses, le porte-flingue Daisuke, Goemon le samurai ou la belle et dangereuse Fujiko ou sera parfois seul, tandis que chacun de ses alliés aura droit à une histoire le mettant en valeur. Bien sur, l’inspecteur Zenigata n’est jamais trop loin pour empêcher les plans de ces fripouilles. Les menaces sont parfois innocentes, d’autres plus meurtrières. Un des adversaires finira avec une balle dans le crâne. Le ton est un peu plus sombre, plus lubrique aussi, la tension sexuelle autour de Fujiko est plus frontale, ses formes seront plus dévoilées. Lupin III a été publiée dans Manga Action, l’une des premières revues de manga pour adolescents et adultes. Et même si aujourd’hui cela n’a plus rien de subversif, il faut se remettre dans le contexte d’une production éditoriale japonaise majoritairement destinée aux enfants. Lupin III a du coeur, mais il est amoral, prêt à manipuler les gens et à fuir la police, il n’est pas le meilleur des exemples pour la jeunesse.


Monkey Punch était passionné par les films occidentaux, dont la Nouvelle vague française et le Nouvel Hollywood, mais aussi de bandes dessinées provenant de l’autre côté du Pacifique. La revue satirique Mad a été une inspiration majeure, il fut d’ailleurs l’un des premiers mangakas à visiter leur rédaction. L’un de ses dessinateurs phares, Mort Drucker est une influence revendiquée, au moins dans les premières histoires. Le trait de Monkey Punch est agile et agité, ses personnages sont des boules d’énergie dont l’auteur module leur expressivité, de la plus grotesque grimace au regard le plus impénétrable selon les situations. Il y a d’ailleurs un évident travail de découpage et de mise en scène, avec des cases abruptes, comme des ellipses, qui en accentuent le choc. Monkey Punch ne cherche pas à développer le mouvement de ces personnages comme le font les autres mangas, il n’en a d’ailleurs pas le temps puisque chaque histoire est complète, il ne s’agit pas de gagner des pages pour une publication en feuilleton.


Dans cette sélection d’histoires parues sur une décennie, on décèle tout de même une évidente évolution entre les deux bornes chronologiques. Les premières histoires sont assez détaillées dans les compositions, avec des décors chargés et un ombrage plus développé à l’encre de chine. Avec un trait plus fin, certaines de ces pages sont assez confuses, peut-être est-ce un problème d’impression, le papier n’étant pas le même que l’original, ou de qualité des originaux conservés. Par la suite, Monkey Punch utilisera un style manga un peu plus classique, mais sans jamais en perdre ce qui fait sa force, son énergie et son découpage.


Car ce que voulait le mangaka c’était créer des histoires divertissantes, riches en action et en rebondissements. Il ne s’embarrasse pas d’introductions, le lecteur est tout de suite dans le bain. Les épilogues seront parfois brutaux, mais l’histoire sera retombée sur ses pieds, peut-être avec un éventuel rebondissement qui ne sera pas poursuivi dans l’épisode suivant. C’est au lecteur d’imaginer les suites possibles. Dans ces récits parfois foutraques, la crédibilité est illusoire, tout se tient mais il faut accepter certaines idées saugrenues, certaines explications un peu forcées. Mais c’est aussi ce qui en fait sa force, cette exagération évidente mais aussi ses rebondissements et les manipulations à l’œuvre, tout fait en sorte que la lecture soit divertissante et agréable, sans se répéter (au moins dans ces histoires).


La psychologie des personnages ne sera jamais développée, mais chacun a ses caractères, que le mangaka use et réutilise pour les besoins de son scénario. Ils sont tels qu’ils sont, et pourtant c’est leur simplicité évidente et leurs personnalités marquées qui les rend si charismatiques. Entre Lupin, Daisuke, Goemon ou Fujiko, tout le monde est différent, complémentaire voire rivaux.


Un peu foufou, mais assurément rythmé, les épisodes ici proposés offrent une très sympathique lecture, qui assume complètement son divertissement, avec ses personnages, ses rebondissements et sa mise en page dynamique. Nourri d’influences occidentales, Monkey Punch a su les restituer pour son plus grand succès. Ces histoires ont parfois plus d’un demi-siècle derrière elles. Et pourtant elles ont encore un charme fou.


Monkey Punch, demandant à son éditeur s’il n’allait pas avoir des problèmes avec les ayants-droits de Maurice Leblanc pour avoir repris le nom d’un personnage qui n’était pas encore libre de droits, celui-ci lui aurait rétorqué que « les Français n’entendront jamais parler de tes mangas, imbécile ! ». Si Lupin III a été connu grâce à ses adaptations, nous autres Français ne pourront plus prétendre ne pas connaître l’oeuvre originale. Il était temps.


Pour en savoir plus sur Monkey Punch, je vous invite à lire l’excellente revue Atom, seule véritable publication critique et analytique sur le manga passé et présent, et son numéro 18.

SimplySmackkk
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le 14 oct. 2021

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