Ce tome correspond à une présentation du fonctionnement du cerveau d'un point de vue scientifique, ne nécessitant pas de connaissances préalables. Son édition originale date de 2013 pour la version originale. Il a été réalisé par Matteo Farinella, détenteur d'un doctorat en neurosciences, pour le scénario et les dessins, et par Hana Roš, docteur en neurosciences, pour le scénario. Il comprend cent-trente-deux pages de bande dessinée, en noir & blanc. Il se termine avec des notes : huit pages de bandes dessinées supplémentaires présentant succinctement les découvertes de Santiago Ramón y Cajal (1852-1934), Charles Scott Sherrington (1857-1952), Sir Bernard Katz (1911-2003), Alan Hodgkin (1914-1998) & Andrew Huxley (1917-2012), Eric Kandel (1929-), William Beecher Scoville (1906-1984), Brenda Miller (1918-). Enfin se trouve une page de lectures conseillées, des ouvrages de Larry Squire & Eric Kandel, Karine & Lionel Naccache, Alfred David, Alain Lieury, Jean-Pol Tassin, Matthew Cobb.
Un homme seul marche dans un paysage de campagne, avec deux petits arbres dénudés dans le lointain, et des nuages moutonnant dans le ciel. Il regarde autour de lui, curieux de ce qui peut se trouver là. Il avise une jeune femme en jupe et corsage en train de lire un livre, assise devant une petite table ronde de jardin, avec une tasse de café posée dessus. Il la trouve séduisante et s'apprête à lui adresser la parole. Elle se retourne et le regarde en enlevant son chapeau : il commence à flotter dans les airs et il se retrouve comme collé sur l'un des pages du livre. Il est lu et aspiré à l'intérieur du cerveau d'un lecteur. Il reprend conscience dans un paysage avec deux nombreux arbres nus, et un ciel noir. Il trouve que cela ressemble à une forêt épaisse. Il commence à avancer sur le chemin, en se disant qu'il doit trouver un moyen de sortir d'ici.
Morphologie. Au milieu de cette forêt d'arbres dénudés, il aperçoit une silhouette : un homme en blouse en train de dessiner un arbre sur son carnet. L'homme s'adresse au scientifique lui demandant s'il a vu passer une jeune femme, et lui disant qu'il doit la retrouver : Y a-t-il un chemin pour sortir de cette forêt ? L'homme lui répond : il n'y a aucun moyen de sortir d'ici, il est à l'intérieur du cerveau, le centre de sa propre existence, ce ne sont pas des arbres, ce sont des neurones, les cellules finement ramifiées qui constituent le système nerveux. L'homme se présente : Santiago Ramón y Cajal (1852-1934), neurobiologiste, lauréat du prix Nobel. Il continue : Tout commence et s'achève avec les neurones, depuis les récepteurs sensoriels jusqu'aux nerfs qui contrôlent les muscles. Toutes les sensations, les souvenirs ou les rêves sont transcrits dans ces cellules. Dans cette forêt qui est celle de son interlocuteur réside le secret de l'esprit humain. Cajal a passé sa vie à observer ces neurones, essayant de résoudre ce grand mystère. Hélas, les scientifiques n'ont pas encore découvert toute la vérité.
Un voyage fantastique dans le cerveau : le lecteur souhaite savoir comment il peut situer le niveau scientifique de l'ouvrage, vulgarisation par des journalistes généralistes, ou par des scientifiques spécialisés. La présentation des auteurs sur le rabat de la première de couverture permet de savoir : deux docteurs en neurosciences britanniques. Outre la courte présentation des découvertes de huit scientifiques, le déroulé de l'histoire évoque également Camillo Golgi (1843-1926), Hans Berger (1873-1941), Ivan Pavlov (1849-1936), et le cas du patient HM (Henry Gustav Molaison, 1926-2008, souffrant d'épilepsie depuis l'âge de 10 ans, puis d'une amnésie à la suite d'une opération à 27 ans). Les auteurs présentent ainsi la notion de neurones (dendrites, soma, axone) formant un réticulum, les différentes formes de neurone, les synapses, les neurotransmetteurs et les vésicules, les signaux électriques neuronaux grâce aux pompes ioniques, le fait que les connexions entre neurones évoluent en fonction de l'expérience, l'existence, la propagation et la fonction des ondes cérébrales. le lecteur lit chaque partie en se rendant compte qu'elles sont assez denses en informations, tout en se lisant avec une facilité trompeuse.
Cette impression de simplicité provient également de la narration visuelle. L'artiste met en œuvre une esthétique réaliste et descriptive, avec un degré de simplification dans les représentations. Avec la première page, le lecteur voit un homme à la tête légèrement trop grosse par rapport à son corps, des nuages dessinés de manière enfantines, un terrain naturel sans consistance tout juste délimité par un trait vallonné pour marquer la différence entre la terre et le ciel. Les boutons de la chemise ne sont pas représentés. Dans les pages suivantes, la dame est un peu plus réaliste, cependant les expressions de visage sont surjouées. le tout dégage une forme de naïveté, en décalage avec la complexité du sujet, laissant supposer que le discours ne s'adressera pas forcément à des adultes. La représentation des arbres dans la forêt renforce cette impression : des silhouettes blanches sur fond noir, des troncs très allongés sans aucune texture, des branchages plus évocateurs que naturalistes. Il en va ainsi de chaque élément de décor qu'il soit naturel, ou construit de la main de l'homme (un sous-marin, un ordinateur des années 1960, la cage à taille humaine pour le chien de Pavlov, un château de conte).
Pour autant, les dessins viennent montrer aussi bien les différentes étapes du voyage du personnage principal et les péripéties correspondantes, qu'illustrer les concepts scientifiques comme les neurones ou les canons ioniques. En page cent-trente-quatre, le monsieur a retrouvé la jeune femme et celle-ci lui fait observer que leur existence est le fruit du cerveau du lecteur, l'image montrant un être humain en train de lire L'art invisible (1993) de Scott McCloud, attestant de la culture des auteurs en matière des bandes dessinées. le lecteur peut aussi voir l'influence d'un bédéiste comme Chester Brown dans les choix graphiques de traits de contour simples, de dessins épurés, et d'une forme de focalisation sur l'étrangeté de l'individu en déformant légèrement les proportions anatomiques. En prenant un peu de recul, il se rend compte que les auteurs savent utiliser les spécificités de ce mode d'expression pour produire des effets sophistiqués. Dès le prologue, le personnage principal se retrouve sur une page de livre (ou de bande dessinée), une mise en abîme de l'acte de lecture, et une façon de briser indirectement le quatrième mur en mettant au premier plan le fait qu'il s'agit d'un ouvrage imprimé. Ils utilisent les rapprochements visuels entre une forêt et le réticulum des cellules nerveuses, tout en n'hésitant pas à s'inscrire dans un registre humoristique et tout public pour la représentation des différentes formes de neurones. Ils mettent à profit la possibilité de faire des schémas qu'ils soient descriptifs comme pour l'axone du neurone pré-synaptique possédant une terminaison synaptique qui contient des vésicules remplies de molécules de neurotransmetteurs, ou qu'ils soient des schémas de principe pour la production d'un courant se diffusant à travers la membrane d'un neurone. Ils s'amusent avec un chien anthropoïde, comme ils représentent fidèlement un calmar ou une aplysie, en évoquant le tableau le cri (1893-1917) de Edvard Munch (1863-1944), ou en donnant une forme humaine aux neurotransmetteurs (avec un parachute et une clé).
Aussi, malgré une apparence de naïveté initiale dans la narration visuelle, le lecteur se rend compte que l'exposé repose sur de solides bases. La forme de la promenade dans différents niveaux du cerveau donne lieu à des rencontres avec des neuroscientifiques ou des précurseurs : une narration en mouvement, une balade de découverte, parsemée de péripéties. le langage reste également à un niveau assez simple, le lecteur pouvant parfois trouver une tournure de phrase un peu naïve ou maladroite, l'attribuant à une traduction trop littérale. Outre le prologue et l'épilogue, l'aventure se compose de cinq chapitres intitulés : Morphologie (pour la description du neurone), Pharmacologie (pour les neurotransmetteurs), Électrophysiologie (pour les impulsions électriques au niveau du neurone), Plasticité (pour l'évolution de l'utilisation des neurones en fonction des sollicitations et de l'expérience), Synchronisme (pour la manière dont les neurones fonctionnent ensemble, alors qu'il n'y a pas de contrôle centralisé). le lecteur a parfois l'impression que les explications sont un peu simples, voire expéditives, ce qui est contingent de la pagination assez faible, et de la démarche de vulgarisation. À d'autres moments, une question ou une remarque vient ouvrir la réflexion sur un horizon vertigineux : l'utilisation de produits psychotropes pour agir sur le fonctionnement du cerveau (avec l'utilisation du mot Drogue en traduction trop littérale de Drugs) comme les antagonistes, les agonistes ou les neuromodulateurs, le questionnement sur la nature de la conscience c'est-à-dire le problème du dualisme (L'esprit est-il différent du cerveau ? Ou l'esprit n'est-il que le produit du cerveau ?). le lecteur ressent alors que le savoir scientifique des auteurs va bien au-delà des éléments basiques qu'ils exposent. Il garde également à l'esprit que l'ouvrage date de 2013, et que les neurosciences ont progressé depuis.
Il n'est pas toujours évident de pouvoir situer un ouvrage de vulgarisation avant de l'avoir lu. de prime abord, celui-ci n'inspire pas forcément conscience : des illustrations un peu naïves, des pages peu chargées en texte, des images parfois comiques plus ou moins volontairement. Pour autant à la lecture, il apparaît une présentation solide, bien construite, documentée, avec une narration visuelle utilisant à bon escient les spécificités de la bande dessinée, dans toute sa diversité. le lecteur en ressort avec une idée claire sur les différentes étapes dans le développement des neurosciences et sur les différents modes de fonctionnement du cerveau. Enrichissant.