Virulent caricaturiste antinazi sous sa véritable identité, Erich Ohser s’est ensuite rangé dans une voie moins polémique, sous le pseudonyme de E.O. Plauen. N’obtenant pas la distinction de la Chambre professionnelle du Reich lui permettant de travailler librement, voyant même ses livres brûlés lors des autodafés organisés par Goebbels, le dessinateur allemand a finalement opté pour des planches à première vue apolitiques, mais que l’album qui nous intéresse présentement contribue à replacer dans leur contexte et à réhabiliter dans toutes leurs ambiguïtés.Vater und sohn, c’est l’histoire, quasi invariable, d’un père et de son fils dans leur quotidien le plus ordinaire. Des personnages lambdas, gaffeurs, facétieux, caractériels parfois, dans lesquels chacun peut se retrouver. C’est aussi un premier recueil écoulé à 90 000 exemplaires, des produits dérivés, un succès retentissant qui aboutit à une récupération politique contre laquelle Erich Ohser ne cessera de s’insurger. Après 157 épisodes, las, il décide d’arrêter son œuvre. Il finira emprisonné en 1944 pour la tenue de propos défaitistes et se donnera la mort en prison, non sans avoir décoché des flèches, de manière détournée et souvent métaphorique, à l’endroit du régime hitlérien.Car à travers ses dessins apparaissent les traits distinctifs des nazis : ce poisson grossissant jusqu’à détruire la maison allemande, cette intransigeance procédurière qui exige qu’on justifie le fait d’être naufragé sur une île, cette évocation des fractures sociales ou de l’incommunicabilité reposant sur le comique de situation et l’allégorie… E.O. Plauen se donne l’apparence de la banalité pour mieux s’installer, sans crier gare, en rempart à l’idéologie nazie. Et ce qui peut apparaître comme une surinterprétation – après tout, il a tout de même publié dans un hebdomadaire propagandiste – se trouve objectivé dans des fiches explicatives convaincantes.Même expurgée de cette dimension historique et politique, l’œuvre d’Erich Ohser/E.O. Plauen mérite que l’on s’y attarde. Quiproquos, opportunisme, courroux, situations anodines prenant des atours extraordinaires se succèdent avec ingéniosité et inventivité. On décèle dans ces planches une réelle modernité humoristique et une capacité rare à portraiturer l’homme à travers ses aspérités les moins avouables : distractions, violences, débordements parentaux (à la manière du Carnage de Roman Polanski), manipulations… En noir et blanc et sans dialogue, en quelques cases, le dessinateur allemand élabore une grammaire de l’image saisissant le réel par son caractère le plus absurde, la politique par ses angles morts et le comique par ses situations ou répétitions. Vous ne verrez jamais plus une tirelire, une plage, une fessée ou une bouteille jetée à la mer de la même façon.
Sur Le Mag du Ciné