A Silent Voice
7.8
A Silent Voice

Manga de Yoshitoki Oima (2013)

Critique rédigée en septembre 2019


Court exercice de provoca(émo)tion avec 7 fois le mot coupable:



Je me sens coupable d’avoir méprisé cette petite barbare débile,
insensible, insipide et minables qui courait en culotte courte
derrière un ballon dans les cours de récréation. Et je me sens
coupable d’avoir continué à la mépriser beaucoup plus tard encore
alors qu'elle s'en était tirée altérée, terrifiée, mutique, mystique
mais à peine névropathe. Je me sens coupable des lambeaux de son âme
déchirée par la honte et par les ricanements cyniques et confus de mes
cellules nerveuses. Je me sens coupable d’avoir été il y a un bail
l’une de ces exécrables petites créatures que l'on dégote au fond des
prétoires d'académies dont on ressort à tout jamais avec un sentiment
mélancolique de paradis perdu. Je me sens coupable d'avoir vendu ma
grâce au diable dans le seul but de me procurer quelques vifs moments
de volupté avec ma horde de confrères partenaires sur le sort d'une
pauvre âme invalide. De même que je me sens coupable de n'avoir arrêté
d'être importun alors qu’il y a des milliers d’êtres écartés qui
continuent chaque année, à souffrir pour les mêmes raisons et à
décalquer sur autrui, en suivant les pointillés... Je me sens coupable
de ne pas avoir arrêté de respirer, face au regard pénible des
quelques huit milliards de joyeux fêtards crapoteux qui continuent de
se battre entre eux pour obtenir une précieuse part dans ce néant
cafardeux.



Suis-je le coupable que le passé a fait de moi ?


Dur dur de rester de marbre devant un tel manga. Un petit manga de 7 tomes te rappelant ô combien chacun ait pu se tromper dans sa vie, et étant même sur la voie de t'interroger sur le sentiment de culpabilité qui, en droit, te ronge jour et nuit.
Publié pour la première fois en 2013, cet exercice de provocation écrit par Yoshiitoki Oima est suivi sous les yeux de l'étudiant Shoya Ishida, littéralement poursuivi par son passé de tortionnaire au sein de son collège. Effectivement, ayant pris un malin plaisir de tourmenter sa camarade malentendante Shoko Nishimiya, il s'est vu trahi puis rejeté par ses camarades, d'abord complice de ses incartades. Des années après ; loin de tout, éloigné de tous, il songe à se donner la mort, mais se résout finalement à partir à la recherche de son ancienne camarade, partie loin de son (ses?) persécuteur en espérant retrouver une vie paisible et se réhabiliter. Le destin va-t-il continuer de jouer de la culpabilité du jeune garçon pour faire de lui le seul et unique coupable ?


Véritable succès du manga contemporain au même titre que l'anime Your Name (2016), A Silent Voice de Yoshitoki Oima a le don de s'adresser à nous, lecteurs, à chaque image. Chaque mot de ce manga a eu un sens et m'a parlé au creux de l'oreille, du fait que son message me concerne, mais en plus parce qu'il interpelle chacun d'entre nous au fond du coeur.
Plus qu'un simple manga de divertissement, A Silent Voice, comme son nom l'indique s'adresse à chacun.e d'une voix mutique sur la place (encombrante) qu'occupe sa culpabilité dans son être par rapport aux maux de la société et d'autrui sur qui il se foule.
Le schéma narratif est sobre, ne fait nul recours à la facilité scénaristique ou à la surenchère de pathos qui n'aurait fait qu'accentuer inutilement l'effet de compassion qu'il suscite en droit comme en fait.


A partir de la seconde partie du tome 1, nous retrouvons à chaque fois le pauvre Shoya se retrouvant en situation avec autrui et voyant son passé de harceleur resurgir malgré lui. Au même titre que la surdité de sa victime, le jeune garçon réalise que l'ancien lui va être parfaitement handicapant pour entretenir le contact avec ses (ex-)camarades.


Dans chaque tome, se déclenche ce même algorithme scénaristique qui fonctionne toujours puisque nous le décelons à chaque fois sous une forme différente.
La narration est tout à fait innovante puisque ce n'est pas sous les yeux de la principale victime que nous assistons à ce psychodrame, mais sous ceux du bourreau, avec ces longues bulles de pensées émanant tout droit du cerveau de cet être perturbé. Par la suite, la situation du personnage sera toute autre, puisque notre héros va remplacer le rôle de victime de Shouko suite au déménagement de cette dernière, ses camarades réalisant alors la cruauté de Shoya à laquelle elle a été confrontée en dépit de maintes avertissements. S'ensuit alors une variation avec pour thèmes l'amitié (L'amitié avec l'autre est-elle possible en dépit de la douleur que celui-ci m'a procuré à une époque donnée?), la culpabilité (Shoya est-il l'unique meneur du lynchage contre Shouko ou tout simplement l'imitateur de ses camarades? Qui doit se sentir coupable ?) et bien-sûr le désir de montrer que le temps a porté ses fruits et m'a aidé à changer (Suis-je ce que mon passé a fait de moi?).
À l'instar du film Boy A (2007) dont la puissance du discours découle à toutes sortes de questionnements philosophico-humanitaires, A Silent Voice nous offre nombre de chapitres poignants tant le propos est criant de vérité, au point d'aller au-delà du simple manga de divertissement. Pour des raisons évidentes, l'humour peine à grapiller quelques moments de franche rigolade, mais pour autant on suit sans déplaisir le parcours de jeunes gens déchirés par la férocité d'un système scolaire terrifiant...


Entre autres grâce aux numéros du minuscule mais atypique Tomohiro, étudiant attachant, déprécié par ses camarades à cause de son tempérament autoritaire et de son physique excentrique.


De fil en aiguille, Shoya parvient à se frayer un chemin vers son objectif primaire: la rédemption, sans quoi il déciderait de se retirer définitivement de la société...


...et de se donner la mort.


Au-delà du désarroi dans lequel baigne ce corpus d'adolescents en recherche d'eux-mêmes et de reconnaissance, chacun exerce tout au long de la série son discours mystique (d'où le titre du manga, frappant de sagesse). Celui que tous souhaitent exprimer mais dont la Voix mutique leur en empêche, les cantonnant dans leur malaise individuel.


Si dès le départ Shoya croit trouver sa voix (voie) en martyrisant l'inconsciente Shouko et en sautant d'un pont, il se verra esseulé, puis harcelé à son tour. Difficilement, il finira par trouver sa voix.e en compagnie de son ancienne victime et de son meilleur ami Tomohiro.
Shouko, "shoushoute" principale de la mangaka, centre de l'histoire, est le personnage le plus diminué des trois principaux ; effectivement, seul un petit carnet lui permettant d'écrire à autrui, lui autorise une "voie.x de communication".
Le petit Tomohiro, détesté par ses congénères, essaye de se faire remarquer en tournant un film en leur compagnie. Si le résultat et les premiers jours de tournage sont un naufrage, ce petit laissé-pour-compte trouve un biais pour être accompagné et extraire ses capacités.


Une voix muette faisant source de confort mystique de chacun des personnages principaux, face au regard des autres, rongé par la rancune et la honte.


Concernant la fin, elle a la particularité de ne pas montrer les personnages ayant résolu tous leurs problèmes. C'est même plutôt le contraire, elle donne l'impression de voir un groupe d'individus ayant accepté de vivre avec leurs maux psychologiques, jouant dans leur avenir de vie adulte.


Le manga se conclut ainsi avec une fin ouverte intéressante qui, sans laisser présager une séquelle, laisse libre court à notre imagination pour bâtir le devenir de ces personnages en fin de compte si attachants.


Je me sentirais coupable de ne pas conclure que: A Silent Voice est une oeuvre choc, provocatrice, tendre et finalement particulièrement riche en émotions. Les dessins sont fluides et agréables à observer et l'histoire, certes poignante, est sans aucun doute l'un des hymnes les plus vigoureux et justes à la tolérance et au respect de chacun. A mi-chemin entre les oeuvres littéraires et cinématographiques de King et M.Franco, ce manga doit être lu par tous ceux qui se sentent / se sont senties victimes ou coupables de perversion, aussi bien en société qu'en milieu scolaire.



"Hum ça alors. Aïe...
Je me sens terriblement coupable."
"Écoute attentivement, tendrement,
jusqu'à la fin des temps."


Angeldelinfierno
9

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Créée

le 18 déc. 2020

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