Frank Miller n'a pas seulement remis au goût du jour la naissance du célèbre héros dans Year One, il s'est aussi occupé de façon très personnelle de la retraite du meilleur détective du dans le tout aussi mythique Dark Knight Return. Faisons donc un retour sur cette œuvre massive de notre justicier adoré.
Avant toute chose, je tiens à émettre une réserve importante. Je tend, le plus souvent possible, à un idéal d'objectivité, afin d'offrir des critiques qui sauront trouver un écho chez ceux qui daigneraient les lire. Mais dans la situation présente, ce ne sera pas le cas. La raison est simple : je n'aime pas l'idéale politiquo-philosophique de Miller. Ca me révulse. Pour moi, Miller fait parti des artistes qui légitimise la guerre, la haine, le massacre de peuples entier. Il fait parti de ces artistes qui revendiquent des notions telles que le patriotisme ou la virilité. Autant de codes sociaux que j'espère voir tomber sous les œuvres de ces dits artistes. Ne le nions pas, dans le monde du comics, je suis du côté de Moore et non de Miller. Pour autant, je serais le dernier des imbéciles si je niais le talent ahurissant de ce type. Encore plus si je disais qu'il était un idiot de base, sans aucune réflexion. Loin de là, Miller maitrise bien ses sujets et offre de nombreuses réflexions intéressantes. Je tacherais de parler de celle-la, mais aussi de celles qui m'ont déplus, tout en sachant que c'est la thématique même que je trouve mauvaise (pour atteindre un point Godwin maintenant : si demain Einstein ressuscitait et développait, via un magnifique raisonnement la nécessitait de faire des camps de la mort pour les juifs/tziganes/homosexuels et autres communistes, je crois que même en trouvant le raisonnement peut être réussie, le sujet même me débecterait bien trop pour que je lui donne du crédit). Bref, après cette longue intro, parlons enfin de l’œuvre !
Dans ce récit, Batman n'est qu'un vague souvenir, cela fait 10 ans que Bruce Wayne, âgé de presque 50 ans, a raccroché la cape. Il a cessé sa croisade contre le crime pour des raisons connus de lui seul. Mais le sous-entendu est clair : Jason Todd, le second Robin est mort et cela l'a poussé à ne plus jouer au justicier. Suite à cela, Dick Grayson et lui aurait cessé de se parler depuis 7 ans. Notons l'aspect novateur, Miller ne sait pas que Todd va effectivement être mis à mort quelques années plus tard dans le désormais culte Death in the Family. Alors que le commissaire Gordon est sur le point de partir à la retraite, le millionnaire Bruce Wayne doit combattre une nouvelle fois l'envie de redevenir un justicier. Gotham est plus violente que jamais, le Gang des Mutants a pris possession de plusieurs quartier, le vol, le meurtre et le viol sont désormais la sainte trinité de cette ville qui affiche la perte de tout espoirs. Finalement, sans raison particulière, si ce n'est celle qu'on ne peut mettre définitivement en cage une créature vengeresse, Batman renait !
L'histoire s'articule alors en 4 chapitres, mettant en scène à chaque fois un combat de Batman. Contre Two-Faces, lui aussi de retour. C'est ce retour criminel qui pousse Batman à revenir à la vie dans un sens. En deuxième lieu, le Gang des Mutants. Un ennemi tentaculaire que Batman affronte comme un combat contre sa propre vieillesse. Le troisième chapitre ramène le Prince Clown du crime pour une étreinte spectaculaire et enfin le quatrième et dernier chapitre amène au combat le plus mythique de DC : Batman vs Superman !
Le monde de DC et plus particulièrement de Gotham est regardé à travers une loupe déformante, montrant un monde plus vieux d'environ 15 ans par rapport à celui que nous connaissons. Pour autant, Miller, de par son génie, ne se laisse jamais aller à la facilité. Le monde apparaît aussi laid et torturé que par le passé, mais cette fois, il y a en plus la décrépitude du vieillissement. Une Selina Kyle qui a perdu tout ses attraits féminins est le visage de ce futur. Un Robin mort, un autre qui ne donne pas de nouvelle … Amenant la venu d'une Girl Wonder avec Carrie Kelley. Le commissaire Gordon, trop vieux mais encore sur la brèche, bien qu'il n'ait plus d'espoirs, il a trop vécu, trop eu de problèmes pour encore se faire du soucis réellement pour Gotham. Alfred, toujours égal à lui-même malgré les années. Two-Faces, toujours aussi dingue … Le Joker, plus obsédé que jamais par Batman. Green Lantern et Wonder Woman absents, repartis respectivement pour les étoiles et la terre des amazones. Green Arrow avec un bras en moins et évadé de prison. Seul reste Superman, parfait, fort, jeune … Éternel tout simplement.
Et là, il faut comprendre que si ce récit est devenu aussi culte, c'est, à mon sens, parce que Miller comprend mieux que quiconque à l'époque, ce qui fait l'essence même de tous ces personnages. Pourquoi est-ce que je parlais de Selina plus haut ? Parce que même vieille et laide par rapport à ce que le lecteur connait, elle garde une relation forte avec Bruce. Robin est parfait ici. On comprend sa double utilité, il s'agit à la fois d'un soldat, mais aussi d'une double aide. Sur le terrain, il est celui qui aide à la réalisation des plans de Batman, tout en ayant des initiatives souvent justes, il apporte la touche qu'un ordinateur n'aurait pas. Et dans le même temps, il est moralement nécessaire pour Batman qui se rappelle que la Batmobile est un nom venant de Dick Grayson, un gamin … Oui, Robin sert moralement à Batman, lui ramenant un peu de lumière dans son âme ténébreuse.
Mais là où je suis impressionné c'est vis à vis de Batman. Il faut savoir que ce récit donne une grosse part au médias, qui sont clairement méprisés. Miller ne cache pas un profond mépris pour eux et les médias comme les pseudo-psys sont souvent méprisés. Les psys apparaissent comme ceux qui pensent « soigner » des fous psychopathes comme Double-Face, qui accusent la société des crimes commis par ces criminels. On sent que pour Miller, la meilleure justice contre eux est expéditive. Nul pardon, nulle rédemption pour ces monstres. Pourtant, c'est un de ces psys tant méprisés qui touche juste vis à vis de Batman : c'est un psychopathe ! Lui même est totalement fou pour être Batman. C'est une obsession, une névrose profonde qui le ronge et l'oblige à être un justicier. C'est un regard particulièrement juste que Miller met bien en scène dans le premier chapitre, montrant que le combat de Bruce contre Batman est du même genre qu'un fou contre des voix intérieures.
De la même manière, ce psy accuse Batman de générer des criminels dans Gotham, qui réponde au malaise du justicier. Là encore c'est touché juste avec le personnage du Joker. Celui-ci est parfaitement conceptualisé. Klaus Janson nous montre en quelque case comment le patient apathique redevient, juste en entendant le nom de « Batman », le criminel fou qu'on connait. Le personnage, son obsession pour Batman est ici encore parfaitement maîtrisé. Et je tiens à rappeler qu'on est au début des années 80. Bien avant Killing Joke au hasard, et pourtant, qu'est ce que c'est une bonne compréhension du personnage !
Un autre personnage bien maîtrisé est Superman, le boy-scout. Il est le dernier « vrai » justicier. Le dernier reconnu. Apparemment suite à un problème, les supers-héros sont devenus interdits (tel Watchmen) et seul lui existe encore, car en échange de la vie de ces amis, il est devenu l'arme des USA. Mais une arme défensive, protectrice. Superman défend la vie. Il se défend lui même tant il apparaît comme l'incarnation de la vie elle-même. Face à un Bruce vieillissant, Clark apparaît chemise ouverte, tout muscle dehors. Le temps lui-même n'a pas de prise sur lui. Quand une bombe capable de détruire les Etats-Unis lui tombe dessus, il ne meurt pas, et grâce à la volonté de la Terre, il renaît aussi fort qu'avant. Le statut divin de Superman est ici aussi bien contrôlé par Miller.
Malheureusement, une histoire, ce n'est pas que des personnages, c'est aussi un scénario et une narration. Pour cette-dernier, j'en parlerai plus tard. Pour l'instant je veux parler du scénario même et de la mise en scène. Et c'est là où j'ai été moyennement convaincu. Déjà, car le propos de fond m'apparaissait comme très moyen (ça aussi, j'en parlerais après), mais surtout parce que dans le scénario même certains passages me sont apparus comme peu convainquant. Globalement, deux, mais deux passages importants. Pour des raisons de respect, je ne spoilerai pas. Je me contenterais donc de dire que l'issue du combat contre le Joker m'a parût grotesque. A mon sens, Miller a voulut passer outre, mais cette issue ne sert pas tant que ça l'histoire ou le propos non plus. A l'inverse, le combat Batman vs Superman sert totalement le propos. Par contre, il tombe d'un seul coup. Depuis le début, on sent la pression monter entre les deux protagonistes, mais l'étincelle qui fait tout exploser est absente. On peut donc être un peu déçu de cet ultime affrontement sans sens réel.
De plus, il y a un côté « guerre froide » franchement bof. Surfait au possible, ça semble exagéré et pas franchement sain. Le gouvernement semble à côté de la plaque, ridicule au possible, amenant à se demander pourquoi Superman ose encore suivre ces hommes. Du coup, la confrontation entre Bruce et Clark perd en prestige, tant il est évident que le bon côté c'est celui de Batman, vu que du côté de Superman on a des incapables.
Ce qui nous amène au second point qui m'a assez énervé. Le parti pris exagéré de Miller. Là, évident, j'ai conscience d'avoir une grande part de subjectivité. Miller est un républicain, pro-bush, qui défend des valeurs très différentes des miennes. Il voue une véritable haine aux médias, et la majorité du temps on ne sent pas une confrontation d'idée, mais un mépris grotesque. Cela, dans un sens, dessert beaucoup l'histoire. Car si, à plusieurs endroits, Miller essaie de ne pas prendre parti, quand il le fait, on est forcé de pencher de son côté tant celui opposé apparaît niais. Les journalistes sont des idiots incapables, stupides, qui n'informent pas les gens réellement mais manipule l'opinion. Il y a évidement toute une justification de la violence défensive. On retrouve ces thèmes qui lui sont propres. En gros, il n'y a pas de petits délinquants, toute personne violente est forcément un connard finit qui agit mal parce que le mal est en lui et qu'on ne peut le soigner, il faut donc le buter. Lumière d'espoirs si je puis dire, le chapitre 4 montre un Batman capable de contrôler les foules par son charisme et son aspect dangereux. En gros, l'armée pour les prisonniers. Je sais que c'est un peu anachronique de reprocher cette vision à Miller dans ce tome. En effet, l'idée de montrer que les criminels sont eux-même des victimes dans Gotham car cette ville est le mal, ne serait repris que plus tard. Il y a cependant une simplification du monde vis à vis du crime que j'ai toujours du mal à voir. Mais bon c'est Miller. Cette critique peut sembler petite, mais il faut vraiment lire l'oeuvre pour comprendre à quel point Miller véhicule cette idée.
Pour ce qui est de l'aspect plus technique. Le dessin de Klaus Janson est pour le moins spécial. Pas vraiment de gros traits, une manière de dessiner qui apparaît comme un caricaturiste qui fait du réalisme. Il y a très peu de profondeur. Beaucoup de plan de face, mais ça n'empêche pas le mouvement par moment, même si celui-ci apparaît plus comme des arrêts sur images. C'est pas que j'ai pas accroché, mais, bien que ce style m'ait fait quelque chose, il ne m'a pas plus. Pas déplu non plus. Je trouve ça approprié qu'une histoire un peu en-dehors des sentiers battus possède un dessin qui fasse de même. Après, j'ai vraiment pas accroché non plus. Dans le même temps, a plusieurs endroits, son dessin touche juste (Selina Kyle, Joker, Superman). Donc voilà, là encore c'est très subjectif.
Pour la narration, Miller touche sa bille, ça c'est claire. On est vraiment captivé, mais dans le même temps, on peut décroché fréquemment. En effet, Miller a tenu à raconter en 4 chapitres ce qu'aujourd'hui on dirait en 12. En gros, il y a beaucoup, mais alors vraiment beaucoup d'éléments par pages. Du coup, c'est très compacte, sans être indigeste, on a même une grande fluidité narrative qui donne vraiment envie de poursuivre, mais, n'hésitez pas à prendre des pauses, c'est mérité.
The Dark Knight Return apparaît comme un récit majeur de Batman pour sa parfaite réussite des nombreux protagonistes et antagonistes présents dans l’œuvre. Pour autant, le message transmis dedans n'est pas forcément des plus parfait. On finit même l'ouvrage en se demandant dépité « ok, mais tout ça pour quoi ? ». Au delà du propos qui m'a donc beaucoup déplus dans le sujet, et a donc peu eut d'écho en mois, c'est bien aussi le scénario qui me semble se finir en queue de poisson. Du coup, on se demande un peu vers où on se dirige si c'est pour une fin comme ça. Tout le chapitre 4 d'ailleurs semble être assez peu sur de soi dans la direction qu'il prend.
The Dark Knight Return touche souvent juste pour ce qui est de l'essence des personnages, souvent en avance par rapport à des traitements futurs, et rien que pour cela, il mérite d'être lu.