Depuis sa sortie, Black Butler fait preuve d’un succès commercial qui ne se dément pas, notamment auprès d’un public féminin adepte des majordomes et des relations ambiguës que Ciel entretient avec Sebastian. Il serait pourtant malvenu de résumer ce manga à ces aspects caricaturaux.
En effet, Black Butler est une série étonnante à plus d’un titre. A commencer par son format, atypique pour un manga, puisque basé sur la notion de volumes plus que de chapitres. Ici, chaque histoire se divise en un ou plusieurs tomes ; la première dure un volume, tandis que la dernière en date en France (à l’heure où j’écris ces lignes) en comptait deux. Pas de longs arcs qui se terminent en plein milieu d’un tome. Le premier surprend d’ailleurs pour cette raison, puisque sa construction même repose sur cette idée de volume, et son début n’est pas représentatif d’une évolution beaucoup plus sombre. Il conviendra donc de le lire en entier pour avoir un aperçu réel du style bien particulier de Black Butler.
Tout aussi étonnant, son univers. Black Butler se déroule dans l’Angleterre de l’époque victorienne, mais une version fantasmée et caricaturale de celle-ci, particulièrement froufrouteuse avec même quelques inspirations « gothic lolita », comme nous pouvons en trouver dans certains manga de Kaori Yuki, comme God Child. Néanmoins, cette vision erronée semble plus volontiers assumée par l’auteur ; elle n’hésite d’ailleurs pas à introduire de-ci de-là quelques éléments anachroniques, sans pour autant qu’ils deviennent omniprésents.
Black Butler joue sur les contrastes. Son univers parait délirant au premier abord, avant tout à visée comique, pourtant il recèle aussi une noirceur extrême, des monstres, des expériences interdites, et des pratiques sexuelles immorales. Il en va de même pour les personnages : aussi décalés et extravertis qu’ils puissent paraitre au premier abord, tous cachent de profonds secrets, ou ne sont pas aussi sympathiques qu’ils veulent bien le faire croire. En particulier Sebastian, qui derrière ses allures de majordome irréprochable, dissimule une violence démoniaque et n’accomplit sa tâche qu’en échange de l’âme de Ciel.
Tout ce manga est construit sur cette opposition, sur ce style comique et décalé, qui peut à chaque instant laisser place à une révélation effroyable ou à une série de morts violentes. Mais même cet aspect horrible contiendra presque toujours un élément décalé, à l’image de ces Dieux de la Mort qui utilisent tronçonneuses ou tondeuses à gazon en lieu et place de leurs sempiternelles faux.
Les histoires elles-mêmes jouent essentiellement sur les enquêtes policières, le rôle de Ciel au sein de l’Empire Britannique étant de démasquer les responsables d’exactions n’ayant pas d’existence officielle, et de les punir au besoin.
Black Butler mélange des genres qui n’auraient jamais dû se rencontrer, pourtant cet assemblage fonctionne dès le premier tome, qui après un début gentillet prend des proportions horrifiques peu communes. Je comprendrai que certains n’y adhèrent pas, ou ne supportent pas le style « bishônen » et les sous-entendus qui vont avec, même si l’auteur semble avant tout se moquer de ces codes et les détourner à son avantage. Toujours est-il que Black Butler est un manga absolument unique de par son ambiance à la fois drôle et sombre, son style victorien sous LSD, et sa construction proche de la BD européenne malgré un découpage en chapitres. Je prends beaucoup de plaisir à découvrir chaque nouveau tome de ce manga, et je pense qu’il mérite d’être essayé par ceux qui ne lui ont pas encore donné sa chance ; au moins son premier tome, représentatif de la suite de la série.