Avant-propos
Créer un univers original n’est pas chose facile. Il faut notamment trouver un équilibre subtil entre la logique et la mythologie. Créer une histoire est comme chercher à trouver l’équilibre sur un système de poids suspendue en équilibre précaire. Il n’existe pas une seule combinaison miracle, il existe de nombreuses possibilités qui constitue la richesse et variété des histoires ; cependant il faut savoir faire preuve d’un savant talent d’équilibriste, un point fort doit pouvoir compenser un point faible, mais des erreurs sont rédhibitoire peuvent faire s’écrouler toute l’œuvre. La cohérence est alors l’élément le plus important, c’est-à-dire que les règles établies à un moment, même si elles sont absurdes ou fantaisistes, ne soient pas contredit ou mise en défaut. Pour éviter cela, la solution la plus simple est alors d’inonder le lecteur d’explications et d’informations détaillées. Cependant cela génère deux problèmes ; en premier, à vouloir tout expliquer et rationaliser, certaines explications en deviennent fumeuses et alambiquées jusqu’au point d’en devenir incohérente. En second, faire disparaitre tout mystère et liberté d’interprétation ruine à l’atmosphère et à la portée mythique du récit. Ce fut malheureusement dans ceux deux travers que sont tombés de nombreux œuvres comme l’Attaque des Titans qui a sacrifié son mythe et sa cohérence dans ses derniers segments.
Blame! Est une œuvre à part dans le manga qui a su trouver un incroyable équilibre entre atmosphère et logique pour donner naissance à un véritable mythe. Blame! est vraiment atypique comme manga, mais au fond parmi ses nombreuses influences on y retrouve celui de la bande dessinée européenne, plus précisément celle de Métal Hurlant. Le mangaka Tustomu Nihei l’a dit lui-même, son style graphique est très inspiré de celui de Enki Bilal, l’artiste yougoslave à qui on doit Partie de Chasse ou encore la Trilogie Nikopol. Mais je serais fort étonné que Nihei n’ai pas tout comme Otomo également lu Moebius, et plus particulièrement Arzach. La parenté semble plus que flagrante, un héros solitaire et mutique traversant des environnements des plus étranges sans que la moindre explication ne soit donnée au lecteur.
Il y a cependant un point important a évoqué à propos de Blame! : là où certaines œuvres sont des chef d’œuvres universel et grand public à la manière de Nausicaä, d’autres repose beaucoup plus sur une atmosphère et des partis pris qui ne plairons pas à tout le monde, ce qui est le cas de BLAME! Il est donc possible que vous soyez frustré, interloqué ou perdu après cette lecture, mais elle aura toujours le mérite de ne pas laisser indifférent et de rester une expérience unique.
L’expérience de Blame! Pourrait être comparé une sorte de Dark Souls cyberpunk, bien que le manga soit antérieur au jeu : un protagoniste solitaire évoluant dans un univers dangereux et étrange où les rencontres seront rares et les explications assez obscures et lacunaires. Ici le protagoniste Killee évolue dans une mégastructure à la recherche d’un terminal génétique d’accès au réseau. La mégastructure est un assemblage hétéroclite de bâtiments industriels aux dimensions cyclopéennes bâtit par des machines folles. Ici la notion de terre ou de ciel relève désormais de mythe, un trajet en ascenseurs peut se compter en mois, et même l’année lumière semble être une échelle trop petite pour mesurer l’endroit. Killee ne croisera pas grand monde, et à part quelques poignées de lignées humaines isolées ayant évoluées dans leur coin, la majorité des êtres croisés seront des abominations bio mécanique semblant sortir de l’univers de Giger. Cet univers oppresse à la fois par ses monstres, son délabrement, ses structures aberrantes et surtout à la petitesse insignifiante à laquelle ils nous renvoient.
D’une certain manière le lecteur sera comme un archéologue explorateur qui découvrira d’étranges contrés perdues et qui devra fournir des efforts observer et interpréter ce qu’il découvrira, sachant que de nombreuses pièces du puzzle resteront manquantes. Nihei réussit le délicat exercice de perdre son lecteur en lui donnant au compte goutes des clés de compréhension, sans pour autant tomber dans la classique fumisterie de cacher le manque de cohérence et de complexité d’un univers sous un lyrisme et un mystère de façade.
S’il y a une reproche à faire à Blame!, se sont bien ses combats. Nihei a évité certains écueils en faisant de ces derniers un enjeu secondaire, le protagoniste possède l’arme la plus puissante et destructrice qui soit, la véritable épreuve est bien plus l’errance sans fin et l’espoir qui semble toujours hors de portée. Les combats ont comme point positif de mettre en avant un incroyable bestiaire et de mettre en avant les jeux d’échelle avec la mégastructure elle-même. Cependant ces combats sont mis en scène d’une manière extrêmement brouillonne de pars leur scénographie qui rend parfois l’action tout simplement illisible. De plus, ces combats auront de plus en plus tendance à se multiplier et à tirer en longueur.
Il est également dommage que par la suite Nihei n’aura pas réussi à réitérer son exploit dans ses œuvres ultérieurs. Elles ne sont pas inintéressantes, mais n’arrivent pas à se détacher de l’héritage pesant de leur ainé. Les autres mangas de Nihei paru par la suite auront un air d’ersatz de Blame!, tout en devenant progressivement de plus en plus grand public. On pourra noter que dans ces manga, Abara sera une des œuvres qui inspirera beaucoup Chainsaw-man pour de nombreux aspects de design et du choix de certains noms (comme par exemple le héros s’appelant aussi Denji et ayant une transformation étrangement similaire).
Pour conclure, Blame! Est une expérience totalement unique et atypique dans le milieu du manga habituellement mortifère pour toute prise de risque ou parie sur l’intelligence du lecteur. La lecture peut être éprouvante et frustrante, mais elle sera à coup sûr inoubliable. Si vous acceptez de vous perdre dans ce labyrinthe vous en découvrirez la légende qui n’a rien d’usurpée.
Cette œuvre magistrale mais avec ses défauts mériterai 9. Cependant comme Blame! est une véritable anomalie qui a trouvé son public, chose que l’on voit très rarement apparaitre dans le contexte éditorial du manga et d’un lectorat qui récompense bien plus facilement les œuvres que l’on désignera poliment comme étant plus « convenus ». Par conséquent un 10, une note qui se doit d’être dispensée avec parcimonie pour lui préserver sa valeur, semble ainsi approprié.