Peut-être sur Terre... Peut-être dans le futur...
C'est en ces termes que Blame! débute. Dès que l'on a lu cela, on comprend tout de suite où l'auteur veut en venir et où l'histoire va aller.
Car Blame! n'est pas un manga qui se lit, c'est un manga qui se vit.
L'univers de Blame! est un univers Cyberpunk, voire même Post-Cyberpunk, où toute l'action se déroule dans une sorte de gigantesque cité (appelée sobrement "Méga-Structure") composée de milliers d’étages empilés les uns sur les autres sur des milliers de kilomètres, et où se côtoient des cyborgs, des androïdes mutants, des machines devenues folles, et quelques rare factions humaines condamnées à une mort lente dans un monde cruel qui les dépasse. C'est un monde qui a rejeté depuis longtemps la notion d'"organique", dont les lois et les règles changent constamment, défiant même les notions d'espace et de temps. Un horrible robot chenille par-ci, 4 ou 5 guerriers cyborgs fous par là, 3 étages plus haut, un désert de rouille et d'acier, et sous nos pieds, le vide absolu.
C'est dans un tel contexte de décrépitude et de mort que le lecteur débarque, en plein milieu de l'action, et devra essayer de suivre le train en marche, ce qui s’avérera compliqué tant tout autour de Killy, le héros, respire la froideur et l'inorganique.
Tu veux comprendre ce qu'est un "terminal génétique" ou qui sont les "Silicates" ? Abandonnes, tu n'appartiens pas à la Méga-Structure, tu n'est pas fait pour sa logique, tu n'est qu'humain, qu'organes, os et chair.
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L'univers de ce manga peut sembler très imperméable, car il est très peu expliqué au lecteur, ce qui n'est d'ailleurs pas aidé par les dialogues, volontairement peu nombreux et livrant des informations à petites doses, les personnages sains d'esprit et/ou encore civilisés et/ou encore humains sont extrêmement rares. Ce manque de développement du background tend à passer pour de la mauvaise écriture, comme dans la série des Dark Souls ou Bloodborne. Mais quelque part, on sent à la lecture que ce monde que nous dévoile Nihei a son propre vécu, sa propre histoire, qu'il a un jour existé et qu'il existera encore une fois le manga achevé, que le livre n'a pas attendu l'arrivée de son lecteur pour prendre vie. Le parcours de Killy n'est en fait qu'une simple randonnée dans ce monde impitoyable rempli de robots mutants, de cyborgs fous et de robots constructeurs déjantés, et que rien de ce qu'on ne verra n'aura un impact réel sur le fonctionnement de la Méga-Structure. Le road-trip cybernétique de 10 tomes que nous suivons n'est rien de plus qu'une scènette, une anecdote banale qui se perdra dans le néant quand se refermera la dernière page. On n’a pas besoin de connaître toutes les règles de l'univers de Blame!, nos héros connaissent les règles, les exploitent et les contournent comme ils le veulent. Killy, par exemple, semble mener sa quête depuis des dizaines voire des centaines d'années, il ne semble d'ailleurs pas vraiment savoir lui-même qui il est ni d'où lui viennent ses gadgets, il sait juste qu'il a une mission, et qu'il doit l’accomplir quoi qu'il arrive, preuve que comprendre Blame! n'est pas nécessaire. Il faut le vivre.
"Vous n'auriez pas un Terminal Génétique ?"
Tout ce que l'on peut faire, c'est admirer, admirer Killy parcourir des étages titanesques grands comme des villes voire des régions entières et dégommer du robot psychopathe et du cyborg dégénéré au G.B.E (le flingue le plus cool du monde !) par paquets de 12 !
Est-ce qu'à la fin des 10 tomes, on peut dire que ce parcours semé de morts funestes et de destructions titanesques a eu le moindre sens ? Difficile à dire, c'est la Méga-Structure, ma bonne dame, rien n'y a de sens, rien n'y a d'impact. Nous sommes poussière et nous retournerons à la poussière.
Mais Blame! ne serait pas ce qu'il est sans les dessins.
Tsutomu Nihei a avoué s'être très inspiré du style graphique de Enki Bilal, dessinateur français émérite qui a accouché de perles de la SF comme la Pentalogie du Monstre ou la Trilogie Nikopol; pour mettre au point sa propre patte artistique. Il a, de plus, fait des études en architecture aux États-Unis, qu'il a raté, avant de démarrer sa carrière de mangaka. Il en ressort un dessin sublime, brut et hyper détaillé, jouant sur les traits noirs pour représenter les textures, technique très peu employée chez les mangakas, plus proche de la méthode franco-belge. C'est un trait qui joue sur les échelles, les grandes zones d'ombre et le gigantisme, notamment très présent dans les décors, démesurés :
C'est d'ailleurs ainsi que l'on peut designer le travail d'artiste de Nihei : De la démesure en toute chose. Les combats sont brutaux, explosifs, dantesques à souhait, et les scènes d'action sont titanesques, cataclysmiques. Quand on lit du Nihei, on redécouvre le sens du monde "gargantuesque" ! (D'ailleurs, lisez un peu tout ce qu'a fait le gus, c'est de la bombe.)
Le dessin nous offre par ailleurs des chara-designs stylisés et riches en détails, à l'image de sa façon de représenter les robots et les cyborgs, mêlant allégrement l'artificiel avec le vivant, donnant un aspect très organique à ses créatures et ses personnages à la manière d'un Giger ou d'un Beksinski :
Je pense sincèrement que Nihei est un artiste, un vrai. Du point de vue du dessin manga, je le place très haut dans la liste, il faut vraiment lire ses mangas pour se rendre compte du génie de cet homme !
Bref, avec tout cela, je pense qu'il est assez clair que Blame! est un manga qui ne plaira pas à tout le monde, de par son approche très brut de décoffrage de son univers, son manque volontaire d'explications et son dessin, qui il est vrai peut déstabiliser les jeunes lecteurs et les non-initiés. Mais je conseille tout de même l’expérience pour ceux qui n'ont pas peur de ne pas tout comprendre, ou qui sont capables d'accrocher au dessin.