J'irai droit au but : la quadrilogie Blast est magistrale. De la première à la dernière page, Manu Larcenet modèle une ambiance crépusculaire et insuffle à son polar un lyrisme feutré de génie. Il peaufine avec une poésie et un tact immenses cette grande fresque cérébrale, au souffle existentiel.
L'incroyable beauté stylistique continue de nous hanter longtemps après avoir refermé le livre. À chaque case, un tableau en nuances de noir, de blanc et de gris nous saute au visage avec son fin jeu de lumières, son agencements minutieux des formes, des plans cinématographiques et des textures picturales. Cet art organique a des allures de perfection.
Dans ce nid mélancolique et bipolaire, le crayonné épouse les contours psychologiques de Polza. Polza, cet immense anti-héros tourmenté, d'un charme obèse, doté d'une âme déchirée mais belle, une figure aussi repoussante que magnétique qui ne cesse de prendre de l'ampleur de tome en tome, à l'image de ces Moaï qui le hantent et qu'il incarne. Derrière Polza s'agite une myriade de personnages écorchés-vifs, prédateurs ou victimes projetés dans cette grande spirale du mal.
Car c'est du mal dont traite Blast, de sa capacité à s’immiscer dans les replis de la pensée, de ronger de l'intérieur jusqu'à pousser l'homme aux portes de la folie, là où vérités et mensonges se fondent indistinctement dans un maelstrom d'instincts primaires et de frustrations face aux barrières du quotidien. Et alors, dans cette montagne de terreurs traumatiques du passés, de doutes bouffis du futur, le corps harassé de douleurs et frémissant de colère part à la recherche d'une joie pure, d'une liberté totale. Cette quête obsessionnelle, c'est celle du blast. Le blast salvateur, destructeur, total. L'aboutissement des errements sauvages. L'évasion de ce monde de fous. Ainsi, le monolithe se dilue dans une dimension supérieure, et ne craint plus la mort.
Blast est un monument minéral de l'art graphique, une pépite noire de la fiction. C'est un joyau d'humilité qui offre toute sa folie et sa sagesse aux curieux lecteurs, au creux de quelques imprimés vite dévorés mais très difficilement oubliés. Longtemps encore, le chaos de Polza flottera dans votre mémoire ...
... Et peut-être qu'un soir d'automne,au cours d'une marche à travers les chemins creux d'une campagne humide et endormie, croiserez-vous un moaï ...