Le chef-d'œuvre absolu. Manu Larcenet a une vrai vision artistique, il sait comment véhiculer des émotions esthétiques à partir de son sujet de base. Il sait comment raconter une histoire de plus de 800 pages sans que le spectateur ne s'emmerde.
Blast est une réussite absolu. J'ai découvert cette BD totalement par hasard dans une bibliothèque et je ne regrette pas de l'avoir lu. Cette BD a changé ma vision de l'art et de la conception du monde. C'est probablement pour cela que Blast est ma BD préférée.
Blast met en scène l'histoire de Polza Mancini, un écrivain marginal, mangeur compulsif, obèse, alcoolique et drogué. Il est interrogé par la police sur le meurtre de Carole Oudinot sur lequel il serait impliqué. Le récit est donc un gigantesque flash-back où Polza explique l'intégralité de sa vie. Au fil du récit, Polza tombera de plus en plus dans une spirale de violence, de crime, de rencontre et de folie qui finiront par le conduire à sa perte. Cette spirale sera animée par le Blast, une sorte de délire fantasmagorique qui obsède Polza. Durant toute la BD, il va chercher cette sensation, ce délire, où tous semble léger, paisible. En dehors de ce Blast, Polza ne fait que vagabonder, passant de forêts en villages sans savoir clairement où il veut aller. Plusieurs rencontres vont venir cependant rythmer ce voyage sans but. Les plus importantes sont celles avec Jacky Jourdin, la famille Oudinot (composée de Carole et de son père Roland), Bojan, les frères Vladimir et Llitch…
S'est sur ce scénario que Larcenet va pouvoir déchaîné ses passions les plus brutales, les plus expressives et les plus violentes.
Le thème principal du récit est celui de la folie. Polza alterne des phases d'exaltations, d'hallucinations avec des phases de rejets sociaux, de dépressions et de délires paranoïaques.
Le point d'orgue de cette folie est celui du Blast. Polza atteint le paroxysme de sa folie, plus rien ne semble réel, cohérent autour de lui. Et pourtant, ce Blast est paradoxalement le seul moment où il est totalement en paix. Il compare cet état de paix à une seconde naissance, à un état totalement primaire, totalement neutre. Lors du Blast, la réalité n'existe plus et s'est cela qu'il cherche. Un monde sans temporalité, sans morale, sans principes ni lois. Juste l'instant présent.
« J'étais suspendu, entre terre et ciel…
j'étais mis au monde une seconde fois…
J'étais léger…
Moi !
C'était limpide…
Je voyais le monde tel qu'il était et non tel que je le pensais…
Et non seulement j'en faisais partie, mais j'en étais la nature même…
L'origine.
J'ai entrevu un monde illimité et débarrassé de toute morale…
Et c'était magnifique. »
Tome 1, Grasse Carcasse, p44
Un autre thème très présent dans la BD est celui du rapport entre l'homme et l'animal. De nombreuse fois dans le récit, Larcenet oppose dans des cases diverses animaux avec Polza. Le découpage des cases est fait pour placer Polza sur un pied d'égalité avec le reste des animaux. Non pas pour faire plaisir aux antispécistes ou à des délires progressistes à la con, mais pour créer cette ambiguïté vis à vis de la véritable nature de Polza. Car par ce choix de découpage, Larcenet nous questionne sur l'animalité, la bestialité de Polza. Il ne réfléchis par conscience mais par instinct, il ne cherche plus de projet ni d'avenir, mais simplement le but du Blast, un paradis sans aucune morale.
Enfin, Larcenet prône le thème du souvenir et de l'enfance. Plusieurs pages sont utilisés pour nous faire comprendre les origines des obsessions de Polza, de ses traumatismes
(la mort de son père et de son frère, son viol par les frères Vladimir et Llitch…)
, de son esprits et de ses délires.
« Je mens toujours. Je dis que je ne me souviens de rien, que je suis né du matin. Mais il me suffit de fermer les yeux…
Dans le noir, tout me revient.
Chaque taloche, chaque balafre, chaque regard.
Je me souviens de chacun de vos mots.
Je me souviens comment vous me les avez plantés dans le corps.
Le temps n'y fait rien. Je me souviens de tout. »
Tome 2, L'apocalypse selon Saint Jacky, p113
« Alors je mens.
Je dis que je ne me souviens de rien.
Mais mon histoire est écrite de cicatrices.
Il me suffit d'inspecter ma peau…
Et tout me revient. »
Tome 2, L'apocalypse selon Saint Jacky, p125
Il est temps maintenant de parler su style graphique de cette BD. Manu Larcenet choisi de dessiner la quasi totalité du récit en noir et blanc. Les seules exceptions de planches en couleurs sont celles du Blast et de la description des souvenirs de Polza. Les dessins sont fait à l'aide de marqueurs, d'aquarelles et de Poscas (blanc notamment). Les dessins sont volontairement simples, ils permettent d'accentuer cet aspect morbide, décrépis et surréalistes des personnages, on est vraiment écrasé par cette sensation de vide, un vide à combler. L'idée de génie de Larcenet a été d'utiliser les dessins de ses enfants pour représenter le Blast. S'est probablement le meilleur choix possible car rien n'est plus pur, n'est plus instantané qu'un dessin fait par un enfant. Une autre idée originale est de garder une certaine redondance graphiques (les collages dans le tome 4, les peintures dans le tome 3, les moaïs…) sur certaines planches, elles agissent comme des échos qui apportent une autre vision et une autre interprétation de la scène qui est en cours.
Enfin, le travail du rythme. Blast tient uniquement sur son rythme, la majorité des planches sont mises sous silences et ne participe pas directement à l'avancement du scénario. Ces planches décrivent la vie, le temps qui passe, le déroulement mouvement par mouvement, case par case d'une action simple et banale. Ce travail du rythme est primordiale et est ce qui fa it toute la force de cette BD.
On rajoute à cela des personnages profonds, des scènes intenses et trash, avec une écriture efficace, simple et profonde.
Donc, pour conclure, Blast est un chef-d'œuvre de la BD franco-belge et je la conseille très fortement au éventuels lecteurs qui ne l'ont pas lu.