Je lève les yeux au ciel : l’église, qui se dresse sur une trentaine de mètre, m’étouffe par sa grandeur, sa noblesse, son histoire. L’édifice imposant m’écrase, physiquement déjà, s’élevant toujours vers le haut, lorsqu’au contraire je sombre dans le gouffre de la déprime ; mais surtout par son histoire, lorsque je pense qu’il était déjà avant moi, et sera bien après moi.
Ces pensées, elles se bousculent dans mon esprit alors que je viens de terminer Bonne nuit Punpun. Je me suis levé, et je suis sorti chercher, dans cette ville grouillante d'âmes insensibles à ma détresse, les réponses aux questions existentielles qui m’assaillent, et souvent me dépriment. Je te comprends, Punpun. J’ai vu ta détresse. Je t’ai vu, parmi tous les passants, quecette ville froide et hautaine regarde toujours de haut. Je te comprends parce que, finalement, je suis un peu toi.
Moi aussi, j’ai souvent pris un jour après l’autre pour essayer d’avancer. Et, même si mes déprimes restent souvent passagère ; même si de l’extérieur je ne semble pas forcément rongé par ces problèmes; même si je réussi souvent à oublier l’ombre qui me guette ; même si j’ai appris à entrer dans mon cocon à l’abri de tout danger, fait de films, de séries, de mangas, de livres, de jeux vidéos, de musiques, de soirées entre amis - en bref, un cocon de distractions qui me rassurent et me permettent d’oublier un instant la futilité de mon existence ; même si nos situations sont différentes, il suffit souvent d’une remarque, d’une question, d’un mot, d’une vision, d’un détail, et je sens ma part sombre revenir, je sens mon cocon faiblir, se fracturer, se briser doucement face aux hordes de questions qui m’assaillent, face aux pensées horribles qui me viennent à l’esprit et qui résultent souvent en une phrase: “Je me déteste”.
Formule presque magique, d’une beauté étrange et empreinte d’une lointaine mélancolie qui me donne parfois la force de reconstruire de mes mains ce cocon écrasé par le poids de mes doutes. Mais qui, d’autres fois, alimente ma part sombre, celle que je refoule, et ainsi me fait plonger au plus profond de ma déprime. Et il faut alors entrer en mode robot : ressentir, vivre, aimer, goûter, tester, rire, non, surtout pas ; il faut juste prendre suffisamment de recul sur son corps pour que la douleur ne nous atteigne plus, jusqu'à être capable l'accepter totalement, la faire entrer en soi, avant de l’envelopper de tout notre corps pour l’emprisonner de nouveau en nous.
Et c’est donc avec Bonne nuit Punpun que je comprends que je ne suis pas seul. Si cette œuvre réussit à décrire avec justesse les démons qui m'assaillent, elle n'échoue pas à nous faire comprendre que nous sommes pas seuls. Tout en évitant l’écueil de la fin heureuse,
car, si du point de vue de son ami d’enfance, Punpun parait heureux, épanouie et entouré d’ami, alors qu’en pratique, il n’a jamais pu obtenir la solitude à laquelle il aspirait.
Etrange schyzophrénie, absurde sentiment que d'être dépendant d'une oeuvre qui m'agresse autant qu'elle me protège, me rassure autant qu'elle me déprime, ciment fracturé de mon cocon, aussi solide que fragile, qui me défend de mes doutes avec autant d'ardeur qu'elle m'attaque.
Comment continuer cette critique? Sur la dualité du style graphique, tout a déjà été dit, et c’est en effet parfaitement bien utilisé. Mais le plus impressionnant pour moi reste la ville: majestueuse, elle écrase, avec ses bâtiments magnifiquement détaillés, tout, sans se soucier de quiconque, et surtout pas de nos protagonistes. Et c’est là qu’on comprend à quel point le poids de la société, avec ses conventions hypocrites, le poids de leur responsabilité, le poids de la vie pèse sur eux - poids qui les pousse à se sauver vers les étoiles, qui surplombent cette ville hautaine, prouvant que cette société est finalement bien peu de choses. Graphiquement, cela donne lieu à ces doubles pages figeant un instant, une émotion, un visage, un ressenti, qui sont une incroyable claque : elles m'évoquent les plus beaux - et atroces- instants de Vinland Saga ou Berserk.
Jusqu’ici, je croyais indétrônable la place de l’œuvre de Miura dans le classement des œuvres m’ayant le plus marqué, tout en espérant malgré tout pouvoir ressentir à nouveau le frisson terrible qu’implique la lecture d’une œuvre totale comme Berserk. Pourtant, même si Bonne Nuit Punpun n’approche que de loin cet impact, il m’a prouvé qu’il n'était pas indétrônable. Pour moi, c'est déjà incroyable.