Qu'est ce que le roman fondateur du cyberpunk peut-il apporter 40 ans après sa sortie, alors même que le genre (que j'affectionne particulièrement) est parfois décrié pour ne pas avoir su s'adapter à la réalité du monde, préférant s'adonner à des clichés dépassés? Spoiler : tellement.
Petite précision : j’ai dû interrompre ce livre pendant quelque temps, et en ai notamment profité pour lire La Guerre des Mondes. Cela a créé chez moi l’étrange nécessité de mettre en parallèles 2 livres qu’en apparence tout oppose – au-delà des labels « classique de la SF » ou autre « fondateur du genre »- dans une méta-analyse duale, d’où cette double critique.
Si c’est d’abord par le hasard des temporalités que j’ai mis en opposition les deux romans, c’est aussi venu d’un constat simple – une révélation incroyable pour moi : tous les échecs du roman de Wells - style, scénario, personnages, ancienneté - sont ici des réussites.
Certes, il peut paraître injuste de comparer une œuvre qui date de plus d’un siècle, à un roman qui n’a pas la quarantaine. Mais je rétorquerais qu'il semble autant - voir plus - compliqué de paraître moderne en parlant de cyberespace alors que l’internet n’existait même pas, qu’en évoquant une invasion extra-terrestre au début du XXe. L’un paraît vieillot – bien plus que nombres de classiques, même de SF, pourtant bien plus âgé -, celui-là est d'une incroyable modernité, son cyberespace abstrait et magnifié toujours en avance sur son temps - même maintenant.
De même, le style du plus vieux était lourd et pompeux, encombré de détails et descriptions rendant la lecture compliqué; ici, le lecteur surfe sur le livre comme Case dans le cyberespace, tout en fluidité, admirant l’impeccable alchimie du style : suffisamment détaillé pour ancrer le récit dans le réel mais toujours léger et agréable, chaque phrase appelant logiquement une autre à sa suite, dans un enchaînement si bien dosé qu’il en devient hypnotique.
Enfin, face aux personnages très oubliables du La Guerre des Mondes, se retrouvent ici des protagonistes forts, intéressants et touchants, archétypes capables d’évoluer pour se révéler plus profond qu'il n'y paraît - tout en restant, il faut l’avouer, sacrément classe.
Mais au-delà de ces considérations finalement assez prosaïques, il est essentiel de s’attaquer à l’essence de ce livre – et la raison de l’échec de l’autre, qui manquait de ce liant, de ce lien d’âme : l’atmosphère.
Celle, déjà,- cyberpunk oblige - poisseuse et névrosée, qui prend place dans ce mélange abstrait d’un monde technicolor aux sons kaléidoscopes et aux odeurs de pluies acides, où nos sens sur-stimulés se perdent et se confondent.
Mais au-delà de cette ambiance finalement assez classique - désacralisée par une pop-culture qui s’est appropriée le genre - se dessine une certaine mélancolie, s’entend l'écho de quêtes existentielles inachevés, absorbées par la brutalité du monde, se vit ces moments perdus que l'on veut tant oublier, jusqu’à se perdre dans le tourbillon de couleurs, sons, odeurs, drogues évoqué précédemment. L’atmosphère d’un sentiment qui nous guette à chaque page que plus rien ne sera comme avant, et qu'il faudra faire et avancer avec nos propres faiblesses.
Ce ressenti d'ailleurs très joliment capturée par la postface du livre, qui évoque avec douceur les paysages fantasmées de nos enfances - l'essence même de ce livre.