Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, parue initialement en 2004, sans prépublication. Elle est écrite par Steven T. Seagle, dessinée et peinte par Teddy Kristiansen. Il comprend également l'histoire de 2 pages réalisée par les mêmes auteurs, comme une parodie, pour l'épisode 75 de la série Superman/Batman. Il contient aussi 10 pages d'études graphiques réalisées par l'artiste.


Quand Steve pense au S rouge de Superman, cela lui évoque surtout un S présent à la fin du nom d'un hôpital. Lorsqu'il avait 5 ans, lui et son frère Dave avaient été emmenés par ses parents dans cet hôpital pour rendre visite à leur grand-mère paternelle. En fait seuls les parents l'avaient vue dans sa chambre. Le S se trouvait ajouté à la fin du mot Huntington. Afin de les faire patienter, leur père leur avait offert un comics de Superman. Ils avaient dû se mettre d'accord sur comment le lire à deux, sans se battre, sous l'œil courroucé de leur mère. Adulte, Steve explique au lecteur que par la suite il n'a jamais aimé les comics car ils lui rappelaient trop l'odeur de l'hôpital, et les médecins aux airs de comploteurs derrière leur masque, ne disant jamais rien à sa famille. Du coup lui et son frère avaient préféré lire des livres par la suite, et Steve en avait dévoré de nombreux. Adulte, l'ironie du fait qu'il écrive des comics ne lui échappe pas. Il s'interrompt dans son écriture, pour répondre à Jeremy, son responsable éditorial qui lui demande de lui envoyer les pages 21 et 22 du comics le plus vite possible. Une fois établis ces délais, Jeremy annonce à Steve qu'il a réussi à lui trouver l'occasion d'écrire des histoires de Superman.


Steve repart dans un aparté pour indiquer qu'en tant qu'auteur il y a deux choses qu'espère un scénariste de comics : se faire demander son autographe, et se faire proposer d'écrire Superman. Steve décline calmement la proposition. Dans la journée, Jeremy le rappelle et laisse un message de motivation pour écrire Superman, car Steve ne décroche pas. Il finit par répondre et répondre qu'il y pensera, une mesure dilatoire. Jeremy ne comprend pas qu'on puisse refuser une proposition en or comme celle-là. Après la fin de la conversation, Steve sort dehors et continue son soliloque. Il explique que c'est un personnage pour lequel il n'a aucune affinité. Pour commencer, son costume est trop ridicule, personne ne s'habillerait comme ça. Il se souvient d'un garçon de sa classe au collège qui était venu habillé en Superman à l'occasion d'Halloween. Cet adolescent peu populaire s'était trouvé transformé par le costume le temps d'une journée. Mais lorsqu'il avait voulu retenter l'expérience un autre jour, il était redevenu un idiot aux yeux de tout le monde : le charme n'avait pas opéré.


Pour commencer, Steven T. Seagle a réellement écrit des épisodes de Superman : les numéros 190 à 200 de la série Superman, parus en 2003/2004. Ensuite, il s'agit d'un scénariste ayant réalisé de nombreux projets pour les comics, des histoires de superhéros pour Marvel (X-Men) et pour DC, mais aussi des récits indépendants comme The Amazon (1989) avec Tim Sale, House of Secrets (1996-1999), The Red Diary: The Re(a)d Diary Flipbook (2012) avec Teddy Kristiansen, Genius 1 (2013) avec Teddy Kristiansen. Il fait également parti du studio Man of Action, formé avec Duncan Rouleau, Joe Casey et Joe Kelly, créateurs par exemple de la série de dessin animé Ben 10. La présente histoire a été publiée par Vertigo, la branche adulte de DC Comics et constitue essentiellement une autobiographie d'une période de la vie du scénariste. Alors que le récit commence, Steve (le double fictionnel du scénariste) entretient une relation suivie avec Lisa, et travaille comme scénariste pour l'industrie des comics. D'entrée de jeu, il expose au lecteur d'où provient son aversion pour le personnage : un mauvais souvenir d'enfance l'ayant durablement marqué. Par la suite, le récit suit Steve alors qu'il se lance à la recherche de son père qui n'est pas revenu depuis plusieurs jours chez lui, son épouse s'inquiétant, Steve décortiquant une par une les caractéristiques de Superman et faisant apparaître en quoi elles lui semblent toutes ridicules. Il se trouve qu'il gère mal le stress induit par l'absence inexpliquée de son père et par son refus d'écrire une histoire de Superman, car l'un comme l'autre sont rattachés à une période de son enfance qui l'a durablement marquée.


Du fait de la nature du récit, l'artiste se retrouve à dessiner pendant plus de la moitié des cases des individus en train de parler, soit entre eux, soit Steve s'adressant directement au lecteur. Il prend le parti d'utiliser essentiellement des gros plans sur les visages et des plans poitrine. Teddy Kristiansen a choisi de ne pas se cantonner à un registre réaliste et purement descriptif. Le lecteur n'a pas l'impression de regarder des individus dessinés pour ressembler à une photographie, ou des représentations simplifiées restant dans un registre réaliste. L'artiste détoure les visages et les silhouettes avec un trait fin et sec, parfois cassant. Il simplifie la représentation des visages en se dirigeant vers un registre expressionniste. Il conserve un niveau descriptif tel que le lecteur n'éprouve aucune difficulté à reconnaître tous les personnages : Steve, son frère Dave, leur mère, leur père, leur tante Sarah, Raphael le copain mécanicien, Joe Allen. Il distingue les caractéristiques physiques comme la coupe de cheveux, la forme du crâne, la silhouette, les lunettes, la tenue vestimentaire. Il ajoute des petits traits rouges à quelques centimètres sous les yeux des personnages pour évoquer un état émotionnel un peu agité. Il s'amuse avec la silhouette de Superman en lui donnant des muscles impossibles. À part pour Superman et ses ennemis, il utilise un registre de couleurs plus ternes, également entre naturalisme et expressionnisme. Il n'hésite pas à changer de façon de représenter quand la scène le requiert : une silhouette de combattant sur un vase grec, une silhouette dessinée de manière enfantine quand il s'agit des couleurs du costume de Superman, une approche impressionniste pour les champs autour de Smallville, des dessins sépia et anguleux pour évoquer Friedrich Nietzsche (1844-1900), ou encore des dessins très sombres pour évoquer la nature intrinsèque de genre de divertissement pour Superman.


Indéniablement Teddy Kristiansen apporte une sensibilité artistique qui indique que ce récit n'a qu'un rapport thématique avec les aventures du superhéros avec le slip par-dessus le pantalon, et donne discrètement des indications sur l'état d'esprit des personnages par le biais d'une représentation fragile et habitée par les couleurs. Ainsi le lecteur ressent une réelle proximité avec le narrateur Steve qui est omniprésent, soit comme personnage dans la scène, soit en s'adressant directement au lecteur, soit parce que la scène est émaillée de ses commentaires et de ses observations. Dès le début, le lecteur ressent le malaise de Steve, ces circonstances de l'enfance qui ont fait que le personnage de Superman est chargé d'une émotion négative. Il éprouve pleinement la douleur psychique de Steve à devoir se confronter à ce choix cornélien : soit refuser une occasion professionnelle importante, soit se forcer à écrire un personnage qui n'a aucun sens pour lui. Dans les 2 cas, il se retrouve perdant. Néanmoins sa réaction et le fait qu'il s'enfonce progressivement dans une déprime carabinée semble disproportionnée.


Le lecteur suit donc Steve dans sa tentative de localiser son père, dans ses discussions avec Lisa sur ses difficultés à écrire, dans ses souvenirs, dans ses discussions avec son responsable éditorial. Steve explique régulièrement qui est tel personnage, à quoi correspond un souvenir. En outre, le lecteur voit Steve passer en revue, une à une les caractéristiques du personnage Superman : le costume ridicule, l'individu vivant en étranger pour ceux qui l'entourent, le départ de Krypton pour arriver dans un cadre parfait (famille d'accueil), son invulnérabilité qui contraint les auteurs à inventer des astuces comme la kryptonite, les couleurs de son costume (rouge, jaune et bleu, presque celles du drapeau américain, mais pas tout à fait), son identité secrète, son pouvoir, son courage, sa perfection physique, la notion de justice, le concept de surhomme selon Nietzsche, sa forteresse de solitude, la littérature d'évasion, et quelques autres. À chaque fois, il met en lumière la caractéristique et son ineptie par rapport à la réalité, l'idiotie consubstantielle de ce superhéros. Cela produit un effet désagréable sur le lecteur : Steve auteur de comics de superhéros crache dans la soupe. Dans le même temps, cette posture n'apporte à Steve aucun réconfort : il est dans une démarche destructrice. Il faut attendre le dernier quart du récit pour comprendre ce qui le rend vraiment hostile à Superman, source du malaise grandissant de Steve et du lecteur. En ayant ainsi structuré son récit, Steven T. Seagle rend presqu'impossible l'empathie vis-à-vis de son double de papier. Il est évident qu'il souffre mais cela ne suffit pas à le rendre sympathique. Cela est d'autant plus frustrant que Seagle sait également parler de la maladie d'Huntington avec pertinence et nuance, attestant de capacités d'écriture matures.


Ce récit constitue une autobiographie de quelques mois de la vie de Steven T. Seagle, et sonde sa relation d'auteur et d'individu avec le personnage de Superman et ses caractéristiques. Le scénariste réalise une analyse intéressante, mais toujours à charge, bénéficiant d'une mise en images personnelle qui procure un sentiment de proximité avec Steve. Le résultat suscite des sentiments complexes, entre agacement et pitié devant cet individu qui sombre dans l'autoapitoiement, et la critique négative systématique de ce superhéros, entre curiosité quant à cette vision du personnage et frustration d'assister impuissant à la déprime de l'auteur. Seagle joue honnêtement le jeu de l'autobiographie sans chercher à se flatter, mais sans donner l'impression de réussir à s'éloigner d'une narration trop autocentrée.

Presence
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le 21 oct. 2019

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