https://www.youtube.com/watch?v=N-aK6JnyFmk
Parmi les figures populaires immortalisées par la bande dessinée, rares sont celles du monde de la musique. En effet, si les ponts entre cinéma et bédé sont nombreux, c’est bien la bande-son, et en l’occurrence l’absence de bande-son qui fait défaut au 9ème art. La représentation musicale est alors l’affaire d’astuces, d’un champ ouvert d’expérimentations graphiques : contrainte, elle devient ainsi une force, et un auteur comme Alfred l’a bien compris avec son récent one-shot documentaire sur Etienne Daho. Quant à Pénélope Bagieu, son défi est tout autre : démontrer la virtuosité de la chanteuse de folk rock Ellen Cohen aka Cass Elliot, du groupe « The Mamas and the Papas » avec le biopic « California Dreamin’ ».
Scénario : Avant de devenir Cass Elliot, star admirée de tous au milieu des années 60, Ellen Cohen vivait dans une famille juive atypique de Baltimore. C’est en décidant de tenter sa chance à New York, sans un sou en poche, que la chanteuse a grimpé laborieusement les échelons de la célébrité. Si Pénélope Bagieu a choisie comme sujet de biopic une figure un peu tombée dans l’oubli, c’est pour mieux se l’approprier et interpréter les éléments de sa vie plutôt que de les retranscrire à l’état brut. L’auteure échappe donc au classicisme par une humanisation très aboutie de son personnage, qui de lycéenne excentrique est devenue la cinquième roue du carrosse d’un groupe de folk qui mit du temps avant de l’accepter en tant que membre à part entière. En effet son irrépressible besoin d’amour et de reconnaissance s’est toujours heurté au regard des autres sur ses problème de poids. Condamnée à l’échec sentimental et professionnel dans un premier temps, son succès aurait été miraculeux si sa voix ne séduisait pas chacun de ses auditeurs instantanément. En Cyrano du « flower power », elle garde la tête haute, et son impulsion de vie, son optimisme immaculé cachant une solitude profonde la matérialise presque devant nous, s’extirpant des pages de l’album.
Dessin : D’une simplicité sans concession, les planches de Bagieu se développent ici au crayon gras, avec force d’expression. Epurant ses décors et personnages, seul compte la spontanéité du trait, répondant pertinemment à la spontanéité juvénile de Cass. C’est le visage de ses personnages que Bagieu s’approprie le plus, leur préférant des traits marqués à un réalisme scrupuleux. L’efficacité en devient redoutable, notamment lors des scènes musicales, sans complètement délaisser une plongée graphique appréciable dans les Etats-Unis des années 60.
Pour : L’organisation du biopic en chapitres est d’une cohérence rare : chacun prenant le point de vue d’un personnage de la vie de Cass. De sa mère acariâtre à la chanteuse médiocre belle blonde diamétralement opposée à Ellen, les regards portés sur cette dernière sont multiples et permettent un renouvellement narratif constant, tout en dévoilant à chaque fois un pan nouveau de la vie relationnelle du personnage. Vu le double triangle amoureux complexe et dramatique que forme le fameux groupe « The Mamas and the Papas », il fallait bien une telle démarche de récit pour ficeler le tout.
Contre : Si l’équilibre graphique de l’œuvre parvient à s’imposer la plupart du temps, les aplats de gris au crayon ont été réalisés par-dessus la jambe. C’est particulièrement gênant lors des scènes nocturnes, qui deviennent très artificielles et donnent plus l’impression d’un story-board détaillé que d’une production finalisée.
Pour conclure : En faisant revivre durant une centaine de pages un tel exemple d’inaltérable féminité comme Cass Elliot, naïve peut-être, mais surtout admirablement émancipée et d’un charme fou, Pénélope Bagieu trouve une maturité narrative indéniable. Elle délaisse l’exhaustivité biographique au profit de l’émotion et de l’ambiguïté des relations, offrant ainsi un regard à la fois attendri et lucide.