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Ce tome fait suite à Vengeance (épisodes 31 à 36) qu'il faut avoir lu avant. Il faut avoir débuté la série par le premier tome Passé décomposé pour pouvoir situer tous les personnages, leur histoire personnelle, et leurs relations entre eux. Ce tome comprend les épisodes 37 à 42, initialement parus en 2007), écrits par Robert Kirkman, dessinés et encrés par Charlie Adlard, avec des trames grises appliquées par Cliff Rathburn, et un lettrage de Rus Wooton.


L'esprit de Lori Grimes est en train de vagabonder et elle se rappelle de sa passade avec Shane, lors de l'absence de son mari Rick. La culpabilité de cet acte la mine, sans qu'elle trouve une solution pour s'en ouvrir à Rick. Par contre, sa grossesse continue de se dérouler normalement, sous le regard enamouré de son mari. Carol (la maman de Sophia) rejoint Alice dans l'infirmerie de la prison, pour faire connaissance. Cette dernière lui explique qu'elle fait l'inventaire du matériel médical, et qu'elle a commencé à lire les livres médicaux qu'elle a trouvés, entre autres pour se préparer à l'accouchement à venir. Billy vient chercher Patricia dans sa cellule pour l'emmener à la cérémonie de mariage qui est célébrée par Rick Grimes. La robe de mariée laisse à désirer, mais n'obère en rien l'engagement des jeunes mariés.


Michonne va retrouver Tyreese dans sa cellule et éclate en sanglots. La communauté organise une partie de basketball. Rick Grimes réalise l'inventaire de l'armurerie avec Dale et Tyreese. Lori finit par trouver le courage nécessaire pour parler de Shane, à Rick. La communauté de la prison se met d'accord pour organiser une expédition vers une station de la Garde Nationale dans la région, pour y récupérer des armes et des munitions, et plus si possible. L'expédition se compose de Glenn, Maggie, Tyreese, Michonne, Andrea et Axel. Ce petit groupe a conscience qu'il doit se rapprocher de Woodbury pour trouver cette base, tout en en restant assez éloigné pour ne pas se faire repérer.


Après les 2 précédents tomes, le lecteur se dit que le temps est venu de souffler un peu et que ce n'est pas plus mal au vu de l'intensité des événements passés. Les choses sont donc de retour à la normale pour la petite communauté installée dans la prison : en sécurité derrière les grilles et les barreaux, sous le regard permanent des morts vivants amassés à l'extérieur. En fait, il y a une menace supplémentaire qui pèse sur eux, celle créée par l'existence d'une autre communauté assez proche et belliqueuse. Mais avant de reprendre un cycle dans lequel l'action prédomine, Robert Kirkman prend le temps de consacrer plusieurs pages à différents personnages, ainsi qu'aux relations entre eux. Comme à son habitude, avec l'aide de Charlie Adlard, il n'y va pas avec le dos de la cuillère. Sans grande surprise, sentant son terme de grossesse arriver, Lori Grimes souhaite mettre les choses au clair avec son mari. Le lecteur peut donc voir son visage déformé par une culpabilité écrasante, devenue trop lourde à supporter. La mise en scène de la révélation relève du même degré de nuances, Lori tournant le dos à son mari et parlant en sanglotant, parce qu'elle est écrasée par le poids de sa culpabilité (au cas où le lecteur n'aurait pas encore bien compris). Cette séquence fait écho au comportement Carol dans les tomes précédents. Décidément certaines femmes deviennent des incapables lorsqu'elles ne sont plus soutenues par un homme à leur côté.


Cette vision un peu rétrograde de la femme n'est quand même pas systématique car à l'évidence Andrea porte la culotte dans le couple qu'elle forme avec Dale, et Maggie en remontre régulièrement à Glenn. Il n'en reste pas moins que ce sont plus souvent les femmes qui craquent que les hommes, ce qui statistiquement conduit à se demander si elles ne seraient pas plus faibles psychologiquement, au moins dans cette histoire. Toujours dans la nuance psychologique la plus délicate, Kirkman montre que les éclopés se soutiennent entre eux (Rick et un autre amputé récent), et que la pression psychologique de la présence continue et visible des zombies engendre les pires aberrations comportementales, jusqu'au suicide. Dans le fond, le lecteur ne peut que partager cette idée, dans la forme l'exécution en est encore dépourvue de finesse, avec une forme de suicide bien immonde. Adlard continue de montrer les blessures et les morsures de plein front, mais sans se complaire dans un niveau de détails gore. Aussi le lecteur assiste impuissant au pire, sans en devenir un voyeur se repaissant des détails les plus sordides.


La petite communauté de la prison bénéficie donc de quelques jours de répit, et la vie quotidienne reprend le dessus. Le lecteur présent depuis le début éprouve des difficultés à réprimer son sourire devant quelques maladresses, mais aussi du fait de la chaleur humaine. Les tomes précédents avaient abordé la question de la cohésion de cette communauté constituée d'individus rassemblés par les circonstances, par la nécessité de se regrouper pour être plus fort et pouvoir survivre aux zombies. L'auteur met en scène comment ils regagnent quelques degrés sur l'échelle de la civilisation. Il y a donc la célébration d'un mariage, que Charlie Aldard montre dans toute sa simplicité et son dépouillement, mettant habilement en évidence le faible nombre de participants, et le fait qu'ils sont aussi réunis par les circonstances, plus que par les liens de la famille ou de l'amitié. En fin de volume, ce mariage trouve sa contrepartie dans une cérémonie d'enterrement, où les participants sont tout aussi peu nombreux, mais pour laquelle Adlard ne peut pas s'empêcher une dramatisation excessive, à nouveau pour être sûr que les lecteurs comprennent bien.


Tout au long de ces 6 épisodes, le lecteur peut apprécier la sensibilité de Kirkman pour les petites choses du quotidien comme les chaussettes qui puent ou l'organisation d'une partie de basket comme occupation propice à créer un esprit de groupe. Cette dernière activité est à rapprocher des séances de tir qui participent également à souder le groupe, mais sur la base d'une activité bien différente. Il peut aussi constater que les bonnes idées manquent parfois d'anticipation. Certes le lecteur manque de repères temporels concrets pour savoir combien de temps il s'est écoulé pour les personnages depuis le premier épisode. Mais quand l'un d'entre eux s'exclame qu'il est bon de manger enfin des légumes frais, le lecteur en déduit qu'ils se nourrissaient de conserves depuis un bon moment. Pourtant aucun d'entre eux ne semble souffrir de malnutrition ou du scorbut. Lorsqu'Alice explique à Carol qu'elle a commencé à lire les ouvrages de médecine présent dans la clinique de la prison, le lecteur sourit à nouveau en son for intérieur. En effet, elle souligne par-là que la communauté ne dispose pas de médecin depuis le début de son périple, et que l'approvisionnement en médicaments est au mieux sporadique. Pourtant il n'est jamais question de bobologie, ou d'individu souffrant d'une interruption de traitement.


Il est bien sûr facile de railler Robert Kirkman pour les éléments de la vie quotidienne sur lesquels il attire l'attention, mais qu'il n'arrive pas à présenter ou à gérer de manière satisfaisante. C'est d'ailleurs tout le paradoxe au cœur de cette série. Alors même que l'existence de zombies (créatures biologiquement non viables telles qu'elles sont présentées) nécessite une suspension consentie d'incrédulité de la part du lecteur, celui-ci a du mal à appliquer cette suspension aux aspects les plus ordinaires et réalistes de la série. Depuis le départ, le scénariste montre que de nombreux personnages cherchent un réconfort psychologique dans les relations sexuelles, généralement de type monogame. D'un côté, cela fait sens en termes de besoin primaire ; de l'autre il est impensable qu'ils n'intègrent pas les conséquences d'une éventuelle grossesse. Kirkman évoque d'ailleurs la question de manière plutôt adroite lors d'une discussion entre les jeunes mariés, Charlie Adlard se montrant sobre et plein de tact (une fois n'est pas coutume) pour évoquer leur nuit de noces.


Mais en fait, le cœur du récit réside plus dans sa dimension politique que dans la manière dont les êtres humains tentent de retrouver un semblant de normalité dans leur quotidien. D'ailleurs il est facile de railler Robert Kirkman pour des questions pratiques traitées maladroitement, mais la contraposée (aborder chaque problème pratique de manière détaillée) aurait nécessité 5 fois plus de pages, et aurait eu pour conséquence de diviser par 5 le lectorat. Le lecteur peut aussi regretter que la dimension culturelle de la société reste parent pauvre, car finalement tous les membres de la communauté s'accorde sur un mode de fonctionnement, avec Rick Grimes continuant de prendre les décisions. Par contre, il constate que la dimension psychologique se construit petit à petit avec une sensibilité réelle. Le scénariste n'utilise pas de bulles de pensée, et les personnages ne se lancent pas dans de longs soliloques pour exposer leur état d'âme à la cantonade. Charlie Adlard continue de faire montre d'une réelle habileté pour capter les regards qui attestent de l'état d'esprit des personnages, et parfois pour montrer une posture parlante quant aux sentiments d'un personnage (quand il ne se laisse pas aller à la dramatisation exagérée). Pourtant, en comparant la manière d'être de plusieurs personnages, le lecteur voit apparaître des comportements très différents. Il ne peut pas rester de marbre devant la détresse de Carol. Il s'inquiète pour la manière dont Carl Grimes interprète ce qui arrive à son père, sur la manifestation prématurée de son complexe d'Œdipe du fait que son père est régulièrement absent et maintenant physiquement diminué. Il comprend qu'Hershel Greene puisse s'accrocher à son système de valeurs et de croyance. Il admire la résilience de Michonne, en s'inquiétant du prix qu'elle aura à payer pour pouvoir continuer à mener une telle vie, avec le poids des horreurs dont elle a souffert. Il comprend que les 2 estropiés puissent se rapprocher du fait de leurs blessures. Kirkman, régulièrement bien aidé par Adlard, réussit à montrer des mécanismes psychologiques, sans jamais recourir à un vocabulaire technique ou abscons, sans se montrer démonstratif.


En creux, le lecteur se rend donc compte que le récit porte en lui une dimension psychologique sous-jacente, beaucoup plus délicate et subtile que ne le laisse supposer la narration parfois très appuyée et très explicite sur d'autres points. Les auteurs ne peuvent donc pas décrire l'intégralité de la reconstruction d'une société après une telle catastrophe, dans le menu détail de tous les aspects pragmatiques. Outre la dimension psychologique, quelques aspects sociétaux (les rites comme le mariage, l'enterrement, les activités communautaires comme l'agriculture, le sport d'équipe), le récit aborde des questions de politique. Les premiers tomes étaient plus axés sur la question de la gouvernance (en quoi Rick Grimes pouvait être légitime à décider pour toute la communauté ?), avec une vague tentative de mise en place de prises de décision par comité, cette dernière ayant vite été balayée par l'urgence de plusieurs situations. Les 2 tomes précédents ont amené un changement de paradigme dans la situation de la communauté de la prison.


Il existe donc une autre communauté assez proche, plus importante, organisée sous l'autorité d'un chef incontesté, animée d'une politique non amicale. Le lecteur est tenté de voir la communauté de Woodsbury comme les méchants. Elle est dirigée par un individu tyrannique à la santé mentale discutable. Ses membres n'ont pas bénéficié d'une individualisation pour les humaniser : c'est donc un ennemi sans identité. En outre, ils sont plus nombreux que la communauté de la prison, mieux armés, et plus belliqueux, car ils neutralisent d'abord tout étranger, avant de discuter. La menace pour la communauté de Rick Grimes est manifeste et imminente. Pourtant, après avoir suivi Rick Grimes et les autres pendant plusieurs tomes, le lecteur voit bien que la communauté de Woodbury est surtout mieux organisée et plus efficace. Si Robert Kirkman n'avait pas donné une telle personnalité à Philip Blake (le Gouverneur), il serait difficile de prendre parti entre les 2 groupes. En effet dans les tomes précédents, Kirkman a montré à plusieurs reprises les risques liés à l'intégration de nouveaux éléments, ainsi que l'enjeu de faire confiance à des inconnus. Avec ce point de vue dans la lecture, cette série devient une autopsie fascinante des rapports humains dans leur organisation sociétale.


Au fil des épisodes, le lecteur peut également apprécier plus visuels très parlants, ou inattendus, ce qui n'a rien de si évident quand il s'agit d'un artiste associé à une série sur le long terme. De plus les dessins de Charlie Adlard ont un caractère fonctionnel qui a tendance à tout fondre dans des visuels sans relief. Pourtant à plusieurs reprises (outre les exemples déjà cités), l'artiste réalise des passages remarquables comme de faire apparaître le degré d'intimité entre Lori et Rick, le naturel avec lequel Axel est train de se soulager, ou encore la relation ténue naissante entre Alice et Billy.


Ce tome confirme que les qualités de la série ont tendance à pousser le lecteur à augmenter son niveau d'exigence à un niveau déraisonnable, pour une description exhaustive de tous les aspects de chaque étape pour reconstruire une société. Il est vrai que le scénariste lui tend parfois la perche en évoquant des aspects qu'il traite maladroitement. De même le lecteur peut manquer d'enthousiasme pour des dessins souvent fonctionnels. Mais les qualités narratives qui l'ont amené à poursuivre sa lecture de la série restent bien présentes, que ce soit une mise en scène des principes de la vie d'une société, ou par des séquences mettant en lumière des sentiments fugaces.

Presence
10
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Créée

le 20 juil. 2019

Critique lue 117 fois

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