Dans le manga Detroit Metal City de Kiminori Wakazugi, Sôichi Negishi, jeune japonais de 23 ans n'aspire pour résumer qu'à : être branché, devenir un chanteur de pop suédoise et aller à Paris, la capitale de la mode et du bon goût et séduire la douce Yuri. Par un obscur concours de circonstances il se retrouve cependant à la tête d'un groupe de death metal bruyant et grossier, jouant le rôle de Krauser II. Revêtit de son costume de scène et maquillé, il ressemble alors plus à un croisement entre Marylin Manson et un de membres de Kiss.
Pire que tout, loin des chouettes balades mélodiques qu'il compose en espérant faire chavirer le cœur de Yuri, il braille sur scène puis sur les ondes de toutes les radios les pires obscénités qui soient, à grand renfort de vulgarité et d'horreur.
Plus inattendu : tant sa manager que les autres membres du groupe s'accordent à vanter son talent incomparable. Oui, Sôichi, sur scène incarne à la perfection Krauser II. C'est qu'il y déverse toutes les frustrations accumulées dans sa vie quotidienne.
D'où viennent ces frustrations ? Ainsi qu'on le voit dans les dix tomes de ce manga, avec les mésaventures – la plupart du temps grotesques – du malheureux Sôichi, elles sont générées par les attentes arbitraires de la vie sociale. Précisément par les attentes que sont celles de tel ou tel groupe social auquel on désirerait appartenir : ici, alors qu'il fréquente Yuri, devenue chroniqueuse pour le magazine Amore Amour, ou carrément le célèbre designer Hidetaka Asoto, il doit alors soutenir les standards de goûts et de références des milieux branchés de Tokyo.
Chaque fois qu'il échoue à un de ces « tests », que ce soit aux yeux du milieu ou de Yuri, il a tôt fait de se réfugier dans son personnage de Krauser II, rôle dans lequel il excelle bien malgré lui. Très vite, emporté par l'amour que lui portent ses fans, il agit pour se glisser dans cet autre moule d'attentes. Puis on le voit de retour chez ses parents, vivant dans une petite banlieue campagnarde, où il doit se glisser de nouveau dans son rôle de fils modèle.
Bien sûr, endossant une de ces rôles, une de ces identités, il doit tout en même temps cacher ses autres identités au risque de décevoir Yuri, ses modèles des milieux branchés, ses fans ou sa maman. Ce qui s'avère un éprouvant travail d'attention constante, et est évidemment l'occasion de scènes grotesques et d'épisodes cocasses. Le problème restant que malheureusement ni Sôichi, ni aucun d'entre nous n'est taillé d'une seule pièce pour entrer à la perfection
N'est-ce pas ce que nous faisons tous ? Jouant des rôles attendus, auprès de nos familles, au travail, voire avec nos amis ? Tristement, alors qu'on espère pour Sôichi qu'il finisse par s'assumer et intégrer en un seul individu toutes ses facettes, la série termine sur une planche reprenant à la case près la toute première planche du tout premier épisode. Ainsi notre anti-héros reste-t-il bloqué, éternellement en boucle, reproduisant son schéma.
Qu'en est-il pour toi ? Comment gères-tu tes différentes facettes ? Comment te comportes-tu avec tel ami et tel autre ? En amour ? Auprès de tes proches ? Au travail ? Avec chacune de tes relations et dans chacune des situations sociales auxquelles tu es confronté ? Voire avec toi-même ? Que caches-tu et à qui ? Si en te sondant avec grande sincérité tu découvres que tu n'es pas toujours un toi-même entier, c'est qu'il est peut-être temps de t'accepter totalement et de te montrer au monde. Celui-ci saura s'y faire très vite.
Gemme : Ego / Lanterne : Compassion