Avec Devilman (1972), Gô Nagai signe une œuvre monumentale qui mélange l’horreur, le drame, et une bonne dose d’apocalypse. Ce manga, souvent considéré comme une pierre angulaire du genre, est une expérience à la fois viscérale et déchirante, où l’innocence se heurte à la cruauté du monde, et où les démons, bien que terrifiants, ne sont pas toujours les pires monstres en jeu.
L’histoire suit Akira Fudo, un adolescent timide qui fusionne avec un démon pour devenir Devilman, une créature mi-homme, mi-démon, déterminée à protéger l’humanité contre une invasion infernale. Jusque-là, tout semble pointer vers un récit classique de super-héros… jusqu’à ce que Gô Nagai envoie valser toutes les conventions pour plonger son héros (et le lecteur) dans un véritable cauchemar.
Akira, malgré son apparence démoniaque et sa puissance terrifiante, reste un personnage profondément humain, rongé par la culpabilité et les dilemmes moraux. Ce contraste entre son cœur pur et son visage effrayant est l’une des grandes forces de l’œuvre. À ses côtés, Ryo Asuka, son mystérieux ami d’enfance, joue un rôle ambigu et inquiétant, tissant une toile de trahison et de manipulation qui ne dévoilera toutes ses ramifications qu’à la fin… et quelle fin !
Visuellement, Gô Nagai frappe fort avec des designs de démons grotesques et cauchemardesques qui explosent d’imagination. Les scènes de bataille sont brutales, sauvages, et parfois franchement dérangeantes, avec un trait nerveux qui capte parfaitement le chaos et la destruction. Mais au-delà de l’horreur graphique, il y a aussi des moments de calme, presque poétiques, où la fragilité d’Akira et de ses proches est mise en lumière. Ces contrastes donnent à Devilman une profondeur qui dépasse largement son esthétique d’horreur.
Narrativement, l’œuvre joue sur plusieurs niveaux. Si l’intrigue de base – la lutte entre les humains et les démons – est déjà captivante, c’est dans ses sous-textes que Devilman se distingue. Gô Nagai s’attaque frontalement aux travers de l’humanité : la peur de l’autre, la violence collective, et la manière dont la haine peut transformer les gens en monstres bien plus effrayants que les démons. Ce manga, sous ses apparences de récit fantastique, est une critique acerbe de la société et de ses instincts destructeurs.
Cependant, il faut reconnaître que Devilman n’est pas toujours subtil. Les moments de calme sont parfois éclipsés par une surenchère d’horreur et de violence qui peut sembler gratuite à certains lecteurs. Mais cette intensité, presque oppressante, fait partie intégrante de l’expérience : Gô Nagai ne cherche pas à ménager son public, il le pousse dans ses retranchements, et le résultat est aussi fascinant que perturbant.
La conclusion, quant à elle, est l’un des moments les plus marquants de l’histoire du manga. Tragique, dévastatrice, et profondément nihiliste, elle reste gravée dans la mémoire longtemps après la lecture, transformant Devilman en une œuvre qui ne laisse personne indifférent.
En résumé, Devilman est un chef-d’œuvre de l’horreur et du drame, où Gô Nagai mélange action, réflexion, et une bonne dose de désespoir pour créer une histoire à la fois captivante et terrifiante. Si le ton sombre et la violence peuvent rebuter, ceux qui plongent dans cet univers infernal y découvriront une œuvre riche en émotions et en critiques sociales. Un manga qui brûle comme un feu infernal… et qui éclaire les recoins les plus sombres de l’humanité.