Considérée comme un monument du manga dans son ensemble, la saison 4 de Jojo’s Bizarre Adventure mérite sans aucun doute ses lettres de noblesse tant Hirohiko maitrise de bout en bout son sujet. ‘Diamond is Unbreakable’, ou ‘Diamond is not crash’ selon les traductions, se situe en fait à l’optimum de l’œuvre Jojo’s : après les deux premières saisons de tâtonnements, après la troisième qui inaugure le concept de stands sans parvenir à le rationnaliser, et avant les parties 5 et 6, où, selon l’avis de certains, l’histoire atteste d’irrégularités et les pouvoirs et les personnalités de certains protagonistes souffrent d’une qualité moindre – la septième saison inaugurera le renouveau de la saga en termes de qualité scénaristique, d’originalité des pouvoirs et surtout d’un graphisme hallucinant de complexité tout en respectant la lisibilité de combats hauts en couleurs-.
La quatrième partie est donc pour beaucoup la meilleure car, on le reconnait aisément, elle comporte tout pour se faire aimer : un cadre local, des personnages fous et attachants, un méchant royal et une intrigue intelligente malgré les enchainements de bagarres incessants, ce qu’Araki arrive le plus souvent à faire sans aucune difficulté.
Le lieu de l’action se situe donc à Morioh, ville fictive de taille moyenne située au Japon. Le genre d’endroit agréable, loin de Tokyo, et contrastant étonnamment avec les voyages dépaysants des autres saisons. Bref, c’est la tranquillité, et bien évidemment, cela ne va pas durer. L’Arc et la Flèche, introduits dans les saisons précédentes, sèment la pagaille en créant des stands chez des gens normaux, qui se retrouvent avec des pouvoirs complètement fous. Le héros, Josuke Higashikata, est le fils de Joseph Joestar, héros de la partie 2 et dans une moindre mesure de la 3, ce qui fait de lui l’oncle de Jotaro Kujo, pourtant bien plus âgé que lui, et occasionnant quelques malaises dans leur relation. Le titre de la saison provient de son stand, ‘Crazy Diamond’, qui peut réparer tout ce qu’il touche, sauf Josuke, sinon ça serait trop facile pour les futures bastons. L’histoire n’a au début aucun objectif défini, si ce n’est d’errer dans les rues de la ville et de tabasser avec panache tous les manieurs de stands qui oserait venir chercher des noises à Josuke et sa bande. Pourtant, très vite, et c’est tout à l’honneur de l’auteur, l’ambiance se dégrade rapidement pour laisser place à une inquiétude générale. Araki fait très fort pour le coup car hormis quelques instants de grâce lors d’autres saisons, peu de moments parviennent véritablement à dégager une émotion chez le lecteur (sauf peut-être les premiers incidents de ‘Stone Ocean’ et le contexte général de post-tsunami 2011 de ‘JojoLion’). Dans les débuts de ‘Diamond is not crash’, on se sent un peu comme dans les premières minutes d’un RPG, où on rencontre des gens complètement fous (les quelques adversaires qui parsèment les premiers tomes) ou alors franchement inquiétants (le père-mutant qui vit dans le grenier, l’apparition du stand Bad Company, entre autres).
Le fil conducteur de l’intrigue ne viendra que plus tard, avec l’apparition du meilleur méchant qu’il m’ait été donné de voir dans un manga, à savoir Yoshikage Kira serial killer au stand prodigieux, Killer Queen, capable de faire exploser tout ce qu’il touche sans que la chose soufflée ne laisse aucune trace, facilitant le travail de l’assassin. C’est précisément un des points de différence dans l’appréciation avec les autres saisons, car tous les autres antagonistes majeurs ont des pouvoirs totalement cheatés – force surhumaine, arrêt du temps, coupage de temps, création d’un nouvel univers gravitationnel - qui les rendent moins attrayants malgré leur évident charisme. Ici, le méchant est un mec normal, qui veut faire son petit business de meurtres tranquillement, sans se faire remarquer. Sa vie tourne autour de son job pénard, il ne fait aucune vague, finit 3e à des concours sportifs, n’a aucune prétention à la domination mondiale… Le genre de personne que tout le monde remarque en entreprise mais qui ne se ramène jamais pour se la coller aux soirées du bureau. Son stand témoigne de son côté ‘anonyme’ et désireux de ne pas se faire voir : un stand d’assassinat pur et simple, qui ne laisse aucune trace et qui, au fur et à mesure que ses pouvoirs sont dévoilés, rend compte d’une faculté de traçage et de surveillance impeccable pour que personne ne sache qui est véritablement le tueur en série qui terrorise dans l’indifférence générale la petite ville de Morioh. En clair, on l’aura compris, Kira n’a pas été élu meilleur méchant de Jojo’s Bizarre Adventure pour rien : il en dégage, c’est un colosse de charisme, et dont les affrontements avec les héros deviendront légendaires.
C’est là encore une des forces de cette quatrième partie : les combats sont extraordinaires. ‘Stardust Crusaders’ introduisait la notion de stand dans l’univers d’Araki mais on était forcé de constater que les combats étaient loin d’être aboutis, probablement à cause de la simplicité des stands qui reposaient essentiellement sur les habituels pouvoirs (maitrise du feu, du vent, etc.). Pour ‘Diamond is unbreakable’, Araki réussit à la fois à fournir des combats inhumains dans leur tension, et d’autres totalement cons. Pour exemple, on trouve quand même un affrontement épique au janken, une lutte avec des rats mutants et surtout, prodige chez les prodiges, une lutte pour s’échapper d’un pilonne électrique maudit d’où il est impossible de sortir ! A l’opposé, il serait criminel de ne pas parler des affrontements avec Rohan, Red Hot Chili Pepper, et surtout lors des multiples affrontements où Kira est impliqué. Le dynamisme de la narration et des planches lors du combat entre le tueur et Shigechi, puis contre Koichi est réalisé d’une main de maitre, il n’y a pas d’autres mots. L’apogée vient finalement lors des derniers tomes où, comme à chaque pré-combat avec le boss final, des aventures glauques sont mis en place pour préparer le terrain : ici, on suit le quotidien d’un gamin pris dans la tourmente face à Kira, une fois sa véritable identité découverte, avant d’amorcer fatalement la baston finale entre les héros et le tueur. C’est un sommet de tension qui ne se relâchera pas jusqu’à la toute fin de la saison, même lorsque la partie semblait gagnée pour un camp comme pour l’autre.
‘Diamond is unbreakable’ est donc une sorte d’apogée du travail d’Araki, à mi-chemin entre les loufoqueries des trois premières saisons, et l’évolution plus adulte du reste. On peut dresser un parallèle bancal sur la maturité de la série : les saisons 1, 2 et 3 constitueraient l’enfance de ‘Jojo’s’, avec des graphismes empruntés à ‘Ken le Survivant’, des nazis, des zombies, tout pour encourager les appels au boycott du mauvais gout ambiant ; les saisons 5 et en suivant seraient l’âge adulte, celui de la stabilisation du trait de l’auteur autour de personnage réalistes corporellement et davantage stylisés. La saison 4 est donc celle de la transition, celle de l’adolescence si l’on veut filer cette métaphore qu’aucun critique avide de symbolisme à deux sous ne refuserait : il y a des voyous japonais, les fameux zokus, des mecs imposants, et il y a aussi des personnages qu’on pourrait croiser dans les futures saisons (Koichi, Kira, Shigechi, Rohan) : des protagonistes à taille humaine, physiquement et mentalement parlant.
Pour conclure, ‘Diamond is unbreakable’ n’est pas un monument du manga pour rien, sa moyenne dingue sur SensCritique n’est en rien usurpée, et sa légende au Japon est toute méritée. Autrefois fan inconditionnel de mangas en tous genres, je me suis laissé aller depuis plusieurs mois à d’autres occupations mais je suis forcé d’admettre que cette quatrième saison a été pour moi une sorte de bain de jouvence nippon ultra rafraichissant, et je peux, sans avoir à rougir, conseiller à tous, amateurs ou non, la lecture de ‘Diamond’, une des meilleures qu’il m’ait été donné de faire.
'She's a Killer Queen
Gunpowder, gelatine
Dynamite with a laser beam
Guaranteed to blow your mind
Anytime'