Dans Dragon Head, le dragon n’est pas celui que l’on croit : la fascination sans borne que pouvait d’ailleurs exercer le titre, avant sa première découverte, trouve un écho particulier dans son aura de mystère… frappée du sceau de l’apocalypse. Le mont Fuji, devenu cracheur de feu destructeur, ne sera jamais que la pointe d’un iceberg infernal, l’éminence symbolique et incontournable d’une révolution foulant du pied tous les repères de la civilisation humaine, ou du moins celle japonaise : ce qui, dans la droite lignée de son lourd héritage traumatique, fait plus que tomber sous le sens.
Collé aux basques de Teru et Ako, le lecteur ne peut qu’endosser avec eux la charge d’un avenir opaque, chape écrasante qui démultiplie l’incertitude du présent : doux souvenir que le passé, à jamais révolu, et place à la survie dans sa définition la plus primaire qui soit. Le cadre initial du tunnel effondré, pourtant suffocant de par sa teneur claustrophobique, tiendra ainsi lieu de préfigurateur d’une réalité autrement plus sombre, indécise et menaçante : car retrouver l’air libre ne sera en rien une libération, mais plutôt le point d’entrée vers un voyage en enfer.
Entre quête de sens et menaces concrètes, le manga de Mochizuki Minetaro ne manque pas de cordes à son arc pour parfaire son propos : sa lecture s’avère des plus haletantes, propice à l’inconfort tout en cultivant sans cesse notre avidité curieuse. Résolument pessimiste dans sa démarche, l’humanité locale ayant tôt fait de ranger au placard ses repères et normes moraux, il manœuvrera pourtant avec habileté pour ériger, de fil en aiguille, une ébauche de réponse dans ces ténèbres assourdissantes : vivre pour voir, voir pour vivre. Quelques figures naturellement ambivalentes iront aussi de leurs revirements sporadiques, concrétisant de la sorte son empreinte anti manichéenne.
Faiblard de prime abord, son dessin s’impose finalement tant il sied parfaitement à l’ambiance chaotique d’un Japon dévasté, et à raison de plus qu’il soulignera de bout en bout l’état d’épuisement, puis la résilience salvatrice de ses « héros ». Seul bémol, et pas des moindres : il est regrettable que l’intrigue dédiée aux « têtes de dragon », avec cette quête confuse de perte de sens, appuie aussi maladroitement sur les messages de l’œuvre. Une démarche en rien indispensable donc, qui tend à en atténuer la finesse globale. Mais cela n’est heureusement pas rédhibitoire in fine, Dragon Head demeurant un petit joyau noir paradoxalement lumineux.