Cent ans de vie
Will Eisner est connu pour être sans doute l'auteur de BD à l'origine du terme "roman graphique". Voulant sans doute par là distinguer certaines de ses oeuvres de la masse de comics de super héros,...
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le 21 mars 2016
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On retrouve dans Dropsie Avenue un peu du souffle et de l'état d'esprit que l'on avait dans ces longs films à l'ancienne de plus de 3 heures où l'on suivait la vie entière d'un personnage depuis l'enfance jusqu'à sa mort, en ayant vécu les grandes évolutions de l'Amérique du Nord (Géant, La Ruée vers l'Ouest ou encore Il était une fois en Amérique par exemples).
L'histoire ne commence certes pas ici à l'époque de New Amsterdam, mais Eisner y fait toutefois référence en entamant son récit avec des immigrés Néerlandais. Se succèderont ensuite (presque) toutes les communautés présentes aux Etats-Unis (les Anglais, les Irlandais, les Allemands, les Italiens, les Juifs, les Portoricains, les Danois, les Noirs) - Indiens exceptés, sans pour autant que l'auteur ne prenne parti en favorisant un groupe au détriment d'un autre ou en se montrant plus complaisant pour l'un d'eux. Abie, l'avocat juif, est certes mis en avant en tant que fil conducteur, mais il en fallait bien un. Will Eisner étant lui-même Juif, il paraît normal qu'il choisisse un personnage qui le soit aussi pour servir de moteur. Mais son appartenance à cette communauté n'est pas mise en avant. Ce qui confère une certaine objectivité aux propos tenus par l'auteur tout au long de l'album.
Dropsie Avenue fait bien sûr figure d'allégorie de l'Histoire étatsunienne de 1870 à 1995, le récit étant uniquement concentré sur un quartier du Bronx. Will Eisner n'en profite cependant pas pour nous asséner des faits de manière brutale ou simpliste, voire caricaturale, mais au contraire il fait preuve de beaucoup de finesse en utilisant par exemple de courts passages muets, souvent beaucoup plus évocateurs et éloquents que n'importe quel discours (je pense notamment aux deux gamins des années 1920 qui rêvent de devenir comme leurs ainés bootleggers avant que ceux-ci ne se fassent tuer en pleine rue par un gang rival). L'arrivée et le départ ou l'ascension et la chute des personnages ne sont pas non plus outrageusement dramatisés car ce sont les principes de base du récit, qui brille ainsi par sa sobriété. De prétentieux "auteurs" français n'auraient d'ailleurs pas manqué d'étendre une telle chronique à une quinzaine d'albums bavards et verbeux (ou à un format dictionnaire) baignant dans la manipulation sentimentale du lecteur, alors qu'en l'équivalent de 4 tomes (170 planches), Eisner a dit tout ce qu'il y avait à dire. Un bel exemple de qualité l'emportant sur la quantité.
Will Eisner s'amuse avec la technique et nous offre de belles idées graphiques où les images - à défaut de cases - s’enchevêtrent et s'imbriquent les unes aux autres pour mieux lier les protagonistes et/ou fluidifier l'action. Son trait est toujours aussi précis et arrondi, riche et affiné. Ses personnages (comme ses décors) sont particulièrement vivants et dégagent une certaine "vérité". Surtout lorsqu'ils réapparaissent après de nombreuses pages/années alors qu'on pensait ne jamais les croiser à nouveau. Il sait nous toucher par son observation affutée de la nature humaine (Ruby et Rosie), sans pour autant faire du sentimentalisme calibré (celui que l'on pouvait trouver justement dans ces longs films évoqués au début du présent avis).
Dropsie Avenue, qui évoque également La Vie mode d'emploi de Georges Pérec, est un grand livre qui ravira les amateurs de comédie humaine ainsi que les passionnés d'Histoire US et qui en apprend plus que bon nombre de discours pompeux et ampoulés sur la question.
A lire en écoutant la musique composée par Ennio Morricone pour Il était une fois en Amérique, celle de Nino Rota pour Le Parrain ou, à défaut, celle de Howard Shore pour Gangs of New York.
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Créée
le 30 janv. 2015
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