Dans cette ignoble jungle qui rivalise d’horreur avec le Proche-Orient actuel, Rick et ses amis préparent une révolte contre Negan, le fat et tyrannique exploiteur des survivants, en rassemblant autant de combattants que possible à l’insu du Maître de Lucille, mais tout ne se passe pas de manière aussi feutrée que voulu...
Le génie de Kirkman, c’est d’alterner les moments d’action (très) violente et d’horreur (belle éviscération prolongée avec sadisme dans ce volume) et les moments de dialogue personnel, voire intime, entre les divers protagonistes , où chacun se révèle (pas obligatoirement sous son meilleur jour, loin de là), et qui donnent de l’épaisseur à chaque personnage, histoire que le lecteur s’y attache un peu avant d’être traumatisé par le sort que Kirkman lui réserve dans le tome suivant... Il suffit de voir quelle est la variété des discours que tient « Jésus », en début de volume, à divers personnages, alors que le contenu de ce qu’il a à leur dire est quasiment identique. Belle richesse psychologique.
Les dialogues sont vrais, souvent directs, jamais inutilement familiers ou vulgaires. Cette nudité apparente des sentiments accentue le caractère réaliste de l’action : au point où on en est, l’hypocrisie et le mensonge sont dérisoires et inutiles. Les personnages sont souvent ambigus : les sourires sympathiques peuvent masquer des pulsions sexuelles peu reluisantes ; les amis « sûrs de sûrs » peuvent trahir s’ils se sentent pris entre deux feux. Michonne-la-sabreuse se prend à faire des rêves de petite fille amoureuse lorsque Ézéchiel lui sert quelques galanteries, tout en gardant son sabre à la main en dormant... Negan est un chef-d’œuvre d’ambiguïté : brutal et rustre comme ce n’est pas permis, il laisse souvent transparaître une volonté de négocier et d’établir un régime stable de domination à son profit, sans chercher à écrabouiller systématiquement tout le monde. Enfin, il lui faut de temps en temps répandre du carpaccio de chair humaine sur le sol, sinon ce ne serait pas Negan. Excellente séquence de tension (un peu trop longue) où l’on se demande si Negan va tuer Rick et ses amis, alors qu’il les a à sa merci, et peut arguer, disons, de bonnes raisons de se fâcher.
Lequel Ézéchiel s’arrête momentanément de frimer en jouant au potentat oriental, et livre les origines fort banales de sa vie, et comment il en est arrivé à incarner un monarque de pacotille. Et en plus, c’est plutôt vraisemblable. Andrea se fait bastonner dans une séquence impressionnante, alors qu’elle proclame sa foi dans sa capacité de survie (et celle de Rick) (mais Kirkman sera-t-il d’accord ?)
On se réjouit de constater que Kirkman anticipe notre « retour à la nature », inévitable lorsque nous auront épuisé l’essentiel des ressources au cours du présent siècle : jardinage à la main, présence d’un forgeron de village avec un bon vieux soufflet devant sa forge.
La guerre commence à la fin de l’album...