En 1995, après un roman refusé, Monstres invisibles, Chuck Palahniuk connaît enfin le succès avec Fight Club. L’aura culte de ce roman sera bien évidemment développée et amplifiée par l’adaptation cinématographique qu’en livrera David Fincher en 1999, avec un trio d’acteurs remarquables : Edward Norton, le narrateur, Helena Bonham Carter en tant que Marla Singer et bien sûr Brad Pitt interprétant Tyler Durden.
C’est ce dernier personnage qui s’impose à la postérité. Il faut dire qu’il possède un statut particulier, twist sur lequel reposent à la fois le roman et le film : il n’existe pas, ou plutôt n’est que la manifestation d’une double personnalité du héros, narrateur de cette plongée dans la violence, la drogue et la destruction.
Il fallut donc au narrateur, qui s’est dorénavant affublé d’un nom, Sebastian, se débarrasser de ce double tapageur, et c’est sur cette libération que s’achevait Fight Club, premier du nom. Nous retrouvons donc notre personnage, dix ans plus tard, en couple avec Marla, tous deux élevant leur petit garçon.
Seulement la vie n’est pas rose et Monsieur, contraint de se bourrer de cachets pour ne pas voir Tyler inopinément resurgir, s’ennuie autant qu’il ennuie sa progéniture et son épouse. Finalement décidée à tromper son mari, mais avec cette autre part de lui dont elle était tombée amoureuse, Marla change les drogues de Sébastian par des placebos. Effet garanti.
Disons-le d’emblée : il y a un plaisir proprement jouissif à retrouver cet univers et surtout ces personnages, au premier rang desquels Tyler Durden. D’autant que la manière est là - ce format comics tout à fait pertinent - comme la matière : reprendre tout ce petit monde dix ans plus tard constitue un vrai point de départ assez jubilatoire.
Sebastian - le narrateur - tout puissant conquérant devenu loser archétypal, lutte réellement contre lui-même : non pas contre Tyler, le rival, mais contre son incapacité à contenter ses proches et à donner du sens à sa vie. Objet de chacun, il doit se retrouver en tant que sujet et cette quête, bien souvent torpillée par le côté déjanté du récit, permet à l’intrigue de se déployer sur des rails fermes.
D’autant qu’à côté de ça, ou plutôt autour de Sebastian, on a droit à des intrigues secondaires le plus souvent intéressantes. Tyler bien évidemment, le double qui cherche à dominer le monde. Marla ensuite, qui mène sa propre enquête en compagnie d’enfants atteints d’un syndrome de vieillissement accéléré, en phase terminale. Le rejeton enfin, disparu, enlevé par Tyler, et à partir duquel la relation père-fils se voit questionnée. Fils qui, comme son père dans le premier opus, n’a pas de nom, sinon un générique "Junior". Détail évidemment loin d’être anodin.
Mais c’est surtout cette propension du récit à ne rien se refuser, à s’autoriser toutes les situations qui nous a particulièrement séduit, renouant avec l’esprit, et l’énergie, de Fight Club. L’improbable se fait loi, les monstres envahissent l’histoire, sexe, drogues, violence et manipulation sont de la partie, mais tout cela sur un ton léger, distancié et presque comique, et sur un rythme effréné.
On a d’ailleurs parfois du mal à suivre le fil, puisqu’à l’absurde de certaines actions se combinent un éclatement des intrigues et un jeu autour des ellipses qui fondent une bonne part de la narration. Il faudra donc parfois s’accrocher.
Reste toutefois qu’une fois lancé le scénario se livre à une surenchère de rebondissements et de jeux avec le lecteur qui nous ont semblé au mieux inutiles, au pire franchement vains. Cela devient paroxystique dans le dénouement de l’intrigue, véritable festival "méta".
Car Chuck Palahniuk se représente lui-même dans l’intrigue, en tant que scénariste que ses personnages appellent parfois à l’aide. Et si le procédé amuse au début, il lasse à force et apparaît comme un choix de facilité pour résoudre certaines difficultés du scénario.
Autre élément de fond, qui devrait faire réagir les fans : le changement de nature de Tyler. Nous n’allons pas ici dévoiler ce qu’il en est, mais la question de la double personnalité passe à la trappe et ce qui la remplace ne manquera pas de faire débat.
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