1963, désert du Nevada : Jean Charlier promène ses santiags dans l’Ouest américain, regarde rêveur les étendues brûlées sous le soleil du Far West, et il rêve à un sacré bon scénar’ qu’il pourrait tirer de ce cadre ravagé ... un an et un refus de Jijé plus tard, Charlier s’associe avec un petit nouveau du journal Pilote, Jean Giraud, et ensemble ils forgent Blueberry.
C’est noir, c’est âpre, c’est beau : ce Fort Navajo vous prend aux tripes dès la première planche. Charlier s’est inspiré d’un fait divers, l’affaire Bascom, survenue en 1861, et qui lui donne l’occasion de planter quelques gueules pour jalonner cette intrigue : Blueberry et son Graig endimanché, bien sûr, mais aussi Crowe le métis, Bascom l’enragé, le sage Colonel Dickson résigné, et ce vieux loup de Cochise. Le tout donne un scénario dense, épais, haletant, et mené tambour battant : on a rarement fait aussi abouti en une quarantaine de planches à peine.
Mais l’intrigue de Charlier ne serait rien sans les dessins de Jean Giraud : des trognes ciselées au rasoir, des silhouettes puissantes et bien bâties, et de masses de noir. Voilà un dessinateur qui a compris toute la richesse des intrigues sous le soleil : plus la lumière du jour est brûlante, plus l’ombre sous les stetsons sera profonde et large. Les scènes de combats sont d’une fluidité époustouflante, les passages nocturnes sont saisissants, et la dernière partie de l’intrigue donne l’occasion de jouer un peu avec les angles de vue et la perspective. Bluffant !
Pas étonnant que Charlier soit devenu l’un des princes de la BD pour les cinquante années à venir. Et Blueberry, une série mythique.