Évacuons un point d’emblée : Gigantomachia fait sept chapitres. Aussi, malgré tout le talent qui est le sien, Kentarô Miura ne peut pas proposer une intrigue et des développements atteignant le degré que l’on peut trouver ailleurs, dans des séries plus longues. On peut alors multiplier les questions pour savoir si ce tome en vaut la peine, si Miura n’a pas voulu se faire son Attaque des Titans… de cela il n’en sera pas question dans les lignes qui suivent, je vous laisse vous faire votre propre avis. Notons simplement que la structure du récit est relativement simple : les six premiers chapitres développe une intrigue (scandé par deux grands moments, cf. infra.), tandis que le septième est un chapitre bonus, un extra permettant d’apporter certains éclairages et de finir sur une note humoristique.
Comme mentionné dans le synopsis, le titre fait référence à un épisode de la mythologie grecque où les Géants ont affronté les Dieux, pour un résultat finalement favorable aux seconds (merci Hercule d’être passé par là). Un arrière-plan bien adapté à ce que l’on peut connaître de Kentarô Miura et de ce qu’il est capable de produire (des pieuvres à tête d’éléphants lançant des flammes !). Cette évocation de la mythologie a lieu alors que nous nous trouvons dans le futur, un futur où les mythes sont revenus à la vie, les mythes prenant ici la forme de géants. Comment cela s’est-il passé ? Via une catastrophe qui a frappé la Terre, engendré beaucoup de morts et bien d’autres changements. Une calamité revenant à peu près tous les cent millions d’années ce qui donne une certaine circularité au temps. Un éternel retour où l’extinction menace les êtres vivants. Mais comme dirait un certain Ian Malcolm, la vie trouve toujours un chemin…
C’est dans ce cadre que l’on suit le duo de la couverture : Délos et Promé. On les découvre dans le désert, à la recherche du peuple du désert (ou peuple Karabos – dit Mu). Délos est un homme (il appartient au peuple Hu) ; Promé, une jeune fille pas ordinaire. Les deux sont liés par un contrat et avancent dans une espèce de quête dont on saisit peu à peu les tenants et aboutissants. Au-delà du contrat qui les lie, leur complémentarité s’affiche aussi au fil des pages (Promé peut soigner et nourrir Délos avec son nectar ; ce dernier se bat ; elle est un peu la tête et Délos les jambes et les bras – ce que montre la couverture), en même temps que l’origine de leur appariement reste mystérieuse : Délos est un ancien lutteur qui a rencontré Promé on ne sait trop comment ; depuis, ils avancent ensemble.
Deux grands moments rythment leur aventure :
- La rencontre avec le peuple du désert et le combat de Délos contre Ogun (le guerrier star du peuple Karabos) ;
- Le combat des géants où Délos et Promé, unis, deviennent Gohra (un géant de 53 mètres de haut) afin de battre le géant Titan, envoyé par l’Empire – de vilains personnages qui ont massacré une bonne partie du peuple du désert pour mettre la main sur leur Dieu…
L’occasion est ainsi offerte de voir des humains (l’Empire) utiliser les géants (un don de l’Olympe) pour assouvir des désirs de conquête tandis que le peuple Karabos vit en symbiose avec les scarabées, au point de voir leur organisme évoluer et se rapprocher de ces derniers. Hu contre Mu. On est ainsi dans un environnement où les différences entre groupes sont mal perçues, où il n’y a pas de compréhension mutuelle, où certains sont prêts à se sacrifier au nom de la collectivité, où les coups échangés et la manière de se battre renseignent sur les personnages… C’est un point qui peut dérouter : loin d’un récit simple où tout serait clair, le lecteur avance dans la recherche d’éclaircissements en même temps que les personnages. Il peut, à loisir, noter les références à la mythologie, les termes empruntés au grec… Cela demeure en partie frustrant car l’univers développé et ce que l’on aperçoit dans le chapitre sept donne envie d’explorer davantage cet univers (les paysages que l’on aperçoit dans les dernières pages sont vraiment beaux), de poursuivre le voyage avec Délos et Promé pour avoir plus de réponses. Pourtant, il faut se résoudre à combler les trous par soi-même, à imaginer la suite de leurs aventures.
Un mot à propos de Berserk : on pourra chercher des points communs, des similitudes (l’appel de Promé à la fin du chapitre 6 n’est pas sans rappeler celui de Sonia…)… en même temps que des différences se dessinent. Elles peuvent concerner tant l’humour (un humour coquin par moments avec le nectar de Promé qui sort d’entre ses jambes ; avec sa langue elle fait repousser une corne de scarabée… true story) que les terrains explorés (le désert) et, dans une certaine mesure, le dessin. Là où Guts doit au boxeur Hollyfield, Délos est un lutteur, musclé certes mais plus enveloppé que le dézingueur d’apôtres. Ce point a été à l’origine d’une impression qui m’a parcouru au fil des pages : là où Berserk me semble être dans une certaine verticalité, une dominance des angles droits, dans Gigantomachia, si la verticalité est toujours là (les géants), les formes sont plus en rondeur, les arrondis dominent les angles droits.
Au niveau de l’édition, si la couverture n’est pas du genre à attirer le regard (Miura n’est pas le spécialiste des couvertures attirantes), on peut regretter le découpage de certaines planches où les mots sont coupés en partie (ce qui ne pénalise toutefois pas la lecture) ainsi que des notes de traduction parfois compactées et insérées à des endroits qui ne rendent pas la lecture aisée.
En refermant Gigantomachia le voyage post-apocalyptique proposée par Miura se termine. En assemblant tous les petits cailloux déposés par l’auteur au fil des pages on se trouve en présence d’un univers riche par ce qu’il montre mais aussi par ce qu’il laisse deviner. Et, à l’image des géants, les planches sont aussi… colossales. Un travail minutieux se déploie pour nous offrir quelques moments d’explosion graphique dont l’auteur à le secret. Si l’architecture est moins présente que dans Berserk (la structure où vit le peuple du désert vaut quand même le coup d’œil) le rendu général est excellent et la violence des coups, les expressions des personnages nous conduisent sur un terrain que l’on connaît bien avec cet auteur : celui de l’admiration (désolé si le mot vous semble fort).