Ce tome fait suite à The Labyrinth (épisodes 6 à 10). Ces 3 tomes (avec le premier Let's have a problem) forment une saison complète qui se suffit à elle-même. Il contient les épisodes 11 à 15, initialement parus en 2015, écrits par Ales Kot, dessinés et encrés par Michael Walsh, avec une mise en couleurs de Matthew Wilson.
À bord de l'Helicarier Iliad du SHIELD, Snapper (l'ex assistant de MODOK) a fait prisonnier Maria Hill, grâce à quelques hommes de main. Modok essaye de faire en sorte que Clint Barton (Hawkeye) et Phil Coulson ne s'entretuent pas dans un duel dénué de sens. Vladimir (la bombe dotée de conscience) essaye de convaincre le cybiote The Fury de l'aider, en l'échange de la recherche de ses enfants.
Malheureusement, le plan de Snapper est déjà bien avancé, et l'avènement de Tlön est inéluctable. Tous les Avengers se retrouvent au Venezuela, pour essayer d'enrayer le processus. Mais où est Deadpool ?
Cela n'aurait pas beaucoup de sens de lire ce tome, sans avoir lu les 2 précédents, d'abord parce qu'ils forment une saison et une histoire complète, ensuite parce que l'intrigue serait incompréhensible à un nouveau venu. Ales Kot n'a rien perdu de sa verve, avec une intrigue bien tordue. À nouveau, il fait en sorte qu'un de ses personnages explicite en toutes lettres, la source de cette histoire, une variation à partir d'une nouvelle de José Luis Borges, intitulée "Tlön, Uqbar, Orbis Tertius" (voir le recueil Fictions).
L'invasion extradimensionnelle aura bien lieu, avec une créature pourvue de tentacules, mais l'ombre d'Howard Phillips Lovecraft ne plane pas sur ce récit. Alex Kot a tricoté une intrigue originale, à la structure rigoureuse, avec un suspense soutenu du début jusqu'à la fin, et de belles séquences d'action. Les superhéros se servent de leurs pouvoirs avec pertinence et efficacité. Impossible de savoir si Kot et Walsh se sont consultés lors de la conception de l'intrigue, ou si Kot a fourni un scénario très détaillé, en tous les cas, la narration visuelle présente des séquences qui semblent avoir été conçues et réalisées par un seul et même créateur.
Le plus bel exemple de la cohérence narrative entre le scénariste et le dessinateur se trouve dans l'épisode 14, où une action d'Hawkeye est décomposée en 17 petites cases, dans un enchaînement gracieux et fluide de flèches décochées, et de coups portés contre les ennemis. Le lecteur apprécie également la mise en scène rigoureuse du face-à-face entre Coulson et Barton, ou encore le dialogue entre Vladimir et The Fury (pourtant 2 personnages aux "visages" inexpressifs, difficile de parler de visage pour une bombe de forme ogivale). Il sourit franchement en voyant Spider Woman se servir de ses phéromones sur Artaud Derrida.
Ainsi Ales Kot et Michael Walsh racontent une histoire dont le premier degré respecte les conventions des récits de superhéros, avec une intrigue bien ficelée et originale, et des actions menées tambour battant. Ils ont l'art et la manière de faire ressortir le petit détail parlant lors des interactions entre personnages, que ce soit Phil Coulson évoquant les potentielles séquelles de son trouble post traumatique, ou Lady Bullseye tentant de convaincre Back Widow que l'union fait la force.
Cette histoire ne se contente pas d'être un récit d'action, avec des superhéros au caractère affirmé, et à l'usage inventif de leurs superpouvoirs. L'objectif de Snapper peut paraître un peu simpliste, mais le vécu des personnages étoffe sa motivation jusqu'à générer l'empathie du lecteur pour son mal-être. De la même manière, il est impossible de rester insensible quand Snapper explique qu'il a enlevé tout un tas de personnes d'origine variée, pour pouvoir utiliser leur capacité d'imagination. Le scénariste adresse un clin d'œil au lecteur, en le remerciant pour son investissement dans cette histoire, son apport à faire vivre l'imaginaire de l'auteur.
En plus de ces qualités réelles et concrètes, ce récit dispose d'un atout supplémentaire : un humour protéiforme, et sophistiqué. Cela commence par les couvertures de Tradd Moore. La plus irrésistible est celle du numéro 13, avec MODOK (le personnage qui ressemble à une grosse tête, montée sur un exosquelette en forme d'araignée mécanique). Sur cette illustration, il est au centre des autres Secret Avengers qui portent tous un bandeau rouge, et il leur demande de lui nouer son bandeau autour de la tête (car il n'a pas de mains). L'effet comique est redoutable dans sa dérision moqueuse.
Michael Walsh réalise également des images très drôles, tel MODOK en train de faire la java, avec un chapeau haut de forme, une caricature de Mister Peanut, la mascotte de l'entreprise américaine Planters (page 3 de l'épisode 12). Mais où est Deadpool ? Il est vrai qu'Ales Kot ne semble pas trop s'avoir qu'en faire, par contre Walsh lui attribue une camionnette aux couleurs d'Hawkeye, qui évoque, sans doute possible, la Mystery Machine, c’est-à-dire le van du gang de Scooby-Doo.
Michael Walsh s'avère également assez doué pour croquer des expressions des visages très parlantes. Par exemple dans le dernier épisode, un agent du SHIELD interroge les Secret Avengers, un par un, pour les débriefer. Clint Barton répond de manière naïve et candide, en arborant un air d'idiot content de lui, très réussi et très convaincant.
De son côté, Ales Kot a recours à plusieurs formes d'humour. Par exemple, il peut s'aventurer sur le terrain de la comédie de situation. Il laisse sous-entendre une idylle entre MODOK et une Secret Avenger, avec l'incompatibilité physique correspondante, et son côté répugnant et contre nature. The Fury s'exprime dans un langage incompréhensible, que seul Vladimir peut traduire. Alors que MODOK évoque des relations sexuelles entre The Fury et ce qui réside à Tlön, The Fury tient à rectifier la formulation, préférant le terme de "faire l'amour", moins technique et plus romantique. Kot insère quelques gags plus faciles, tels que la sonnerie de téléphone incongrue de MODOK, mais avec un potentiel comique bien exploité.
Conforme à la nature des écrits de José Luis Borges, le scénariste n'hésite pas non plus à intégrer une dimension autoréflexive. Ainsi lors d'une scène d'action très mouvementée, Michael Walsh insère un compteur d'explosions (explosion-o-mètre) sur plusieurs cases successives pour montrer à quel point cette séquence comporte un quota élevé de rebondissements spectaculaires, permettant de faire la comparaison avec un dispositif équivalent appliqué à un blockbuster estival. Ales Kot renchérit en faisant observer que ce dispositif humoristique n'est pas original, en indiquant en voix off, dans quel film il a piqué l'idée.
De la même manière, une poignée de réplique joue sur le fait que les personnages ont conscience que leur dialogue sert la narration. Par exemple, lorsque MODOK explique ses agissements aux Secret Avengers, il emploie le terme de "infodump", ce qui correspond à un procédé artificiel permettant au personnage de balancer une bonne quantité d'informations à destination du lecteur. Il le fait observer à ses interlocuteurs, mais le lecteur comprend le deuxième niveau de lecture adressé à lui-même, suggéré par le terme "infodump".
Ce troisième tome apporte une clôture satisfaisante à cette série sortant de l'ordinaire. Elle constitue un parfait exemple de série alternative, et d'utilisation intelligente d'une structure en saison. Les responsables éditoriaux ont confié cette série satellite de la série mère des Avengers, à une équipe artistique clairement identifiée : Ales Kot et Michael Walsh ont réalisé les 15 épisodes de la saison. Ces créateurs n'ont pas eu à s'embarrasser de coller aux crossovers du moment ; ils ont pu dérouler leur histoire sans interférence.
Tant Ales Kot que Michael Walsh disposent d'une personnalité narrative affirmée qui met cette série à part de la production industrielle mensuelle de comics dans l'univers partagé Marvel. L'un comme l'autre respectent les personnages qui leur sont confiés, qu'il s'agisse de leur apparence, ou de leurs principales caractéristiques (de leur personnalité, ou de leur histoire). Kot et Walsh se sont attachés à raconter avant tout une histoire de superhéros, complète et autonome (avec comme prérequis de disposer d'une connaissance de l'univers partagé Marvel), sur la base d'une intrigue originale. Tout au long de ces 15 épisodes, le lecteur a pu constater que les contraintes d'une production dans l'univers partagé Marvel, avec des personnages immuables, se sont avérées des atouts pour le récit, sans empêcher les créateurs d'incorporer leurs spécificités, à commencer par un humour décapant.
Cette saison des Secret Avengers constitue la preuve éclatante que le modèle de saison peut permettre à des créateurs de raconter des histoires personnelles, sortant du moule habituel, avec des personnages qui ne leur appartiennent pas, en tirant le meilleur parti des ressources inépuisables de l'univers partagé Marvel.