Un jour, vous ouvrez le premier tome, et le Blast vous prend par surprise.
Il y a des bandes dessinées tellement absorbantes, que quand j'en ressors j'ai du mal à interférer avec le monde réel, tant les images et les mots que je viens d'assimiler me hantent.
Quand on ferme les yeux après l'avoir lu, on est dans l'océan visuel et vivant de Blast.
C'est une BD de contrastes.
Contrastes graphiques : entre le noir et le blanc, monochrome rencontrant parfois la couleur brusquement ; décalage entre traits fins couverts d'ombres épaisses, décors finement ciselés mais tachés et floutés par endroits ; dessin mature rencontrant dessins d'enfants...
Ce patchwork d'images variées n'est pas facile d'accès, en feuilletant l'ouvrage on pourrait être réticent à ces courbes quasiment nauséeuses, à ce mix intempestif.
Il est de ces graphismes dans lesquels il faut s'engouffrer lentement pour pleinement les savourer, jusqu'à la révélation : Manu Larcenet fait preuve dans cette série d'une patte moderne et créative, offrant à son média une curiosité refaisant surface, une nouvelle naissance pour une autre forme de voyage.
Contrastes narratifs : c'est l'histoire d'une vérité racontée à la manière du protagoniste, de son point de vue confronté à ce qu'il en est vraiment. Deux flics qui essayent de savoir. Un poète en surpoids qui raconte avec faconde et détail son parcours de vie torturée, à la fois légère et extrêmement glauque, contraste à nouveau entre moments de sérénité et récits atroces.
Contrastes physiques même : un obèse athlétique et rapide, tel un pachyderme d'aspect pataud mais s'avérant véloce et robuste. Un éléphant, ça trompe énormément.
Au rythme suspendu d'un suspens qui s'impose de lui-même, Blast balade le lecteur au gré de l'écrivain criminel, le questionnant sans cesse, le remuant.
Il y a les films noirs et il y a la BD noire. Blast en est l'accomplissement. Une bien étrange aventure où se mélangent souvenirs et non-dits, liens familiaux et maladies mentales, claques esthétiques sans cesse renouvelées, exploration de l'humanité dans ses recoins les plus rebutants...
C'est le dévoilement d'un homme qui se révèle à lui-même, refusant la mascarade de notre société et allant jusqu'au bout de ses pulsions animales, encaissant dans la foulée toute la brutalité que cela implique.
Difficile en vérité de saisir l'essence complexe des sens complexés de Blast, résultat du travail méticuleux de l'auteur. Ce qui est sûr, c'est qu'en plus de surprendre, l’œuvre se révèle éblouissante de par son dessin faussement simple, réellement travaillé et riche.
Il faut souligner le travail d'écriture, de la grande littérature qui soigne son destinaire et l'enrobe, le victimisant presque de ses lettres si justes.
C'est le genre de BD qu'on lit dans le noir à la lumière d'une lampe, emmitouflé dans une couette, coupé du monde pour mieux apprécier celui que renferment les pages. Le genre d’œuvre unique, aussi marginale que son personnage, pourvue de qualités intrinsèques.
Inutile d'épiloguer de plus belle sur ce retournement de cerveau visuel et lyrique que constitue cette bande dessinée virtuose. Blast est une œuvre touchante, glaçante et dérangeante, violente, nuancée et grisante.