C'est grâce à Blast que j'ai rencontré celui qui anime mes jours en ce moment. Enfin c'est plutôt et surtout grâce à lui que j'ai rencontré Blast. Plus tard, il m'a dit qu'il avait eu peur en me voyant partir le tome sous le bras, peur que je ne revienne pas et qu'il ne nous revoie plus. Evidemment que j'allais revenir, évidemment que j'allais quémander la suite de ce trésor.
C'est vrai que c'est un concentré de tout ce que j'aime. De la noirceur, de la folie, de l'artifice, de la violence, et au milieu de tout ça, un tant soit peu de douceur qui fait tout ce qu'elle peut pour atténuer l'amertume. Polza Manzini incarne ce côté sombre que nous possédons tous, dont nous taisons l'existence, ce darkside dont on ne veut pas entendre parler. Sauf que lui a décidé de vivre, de faire du monde son Walden à lui, un endroit où il pourrait vivre comme il l'entend, à coups d'alcool de bouffe de drogues, lui veut respirer, vivre, rien d'autre. Plus de conventions, seulement la nature, la vie, les Blast. Le Blast, j'ai l'impression de savoir aussi ce que c'est. Impression que nous en avons tous notre propre idée, entre refuge et lieu d'errance, de recherche. Une inspiration, quelle qu'elle soit, qui transcende, qui exalte, et quand elle nous abandonne, ça fait du bruit et ça fait mal. Polza me ressemble, on se ressemble.
C'est l'histoire d'un homme qui a voulu, et qui a presque réussi.
Un homme trempé de vices, de failles et de névroses qui s'en est presque sorti, regain d'espoir qui s'éteint cruellement.
Un homme étranglé par ses vices et ceux des autres, que la vie rattrape parce que fuir n'est pas la solution dans cette société. L'écriture de Larcenet est splendide, ses dessins tout autant, et les deux combinés composent une oeuvre à laquelle il est impossible d'être insensible.
« Je mens toujours. Je dis que je ne me souviens de rien, que je suis né du matin. Mais il me suffit de fermer les yeux. Chaque taloche, chaque balafre, chaque regard.Je me souviens de chacun de vos mots. Vous me les avez plantés dans le corps. Le temps n'y fait rien. Je me souviens de tout. Enfant couvert de plaies infiniment rouvertes, enfant étouffé sous le poids de ce que j'étais, vous m'avez piétiné mille fois. Enfant immobile, silencieux, courbé. Quand vous me parliez, je scrutais votre bouche, effaré que vous recouriez à cet instrument de torture avec tant de désinvolture. Pour passer inaperçu j'ai pris la couleur des murs. Pour que vous m'épargniez, je me suis effacé. Je me suis tu plutôt que de vous déchirer à mon tour, en vain : vous ne m'avez jamais pardonné. A chaque seconde, j'ai été coupable d'une mystérieuse offense à vos yeux écœurés. Si je regarde derrière s'étend une vie de plaies et de sécheresses de laquelle je n'ai appris que la résignation. Cependant, de cette vie dégueulasse surnage une intrigante évidence : si aujourd'hui encore, je suis capable de désir et d'extase..
C'est que je dois être invincible. »
Les choses changent, évidemment. Elles évoluent, en permanence. Mais pas mon amour pour ce putain de chef-d'oeuvre.