Ce tome est le premier d'une nouvelle série qui ne nécessite aucune connaissance préalable sur le personnage de Green Lantern. Il est initialement paru en 2018, sans prépublication, écrit par Gabriel Hardman & Corinna Bechko, dessiné et encré par Hardman, avec une mise en couleurs réalisée par Jordan Boyd.


Dans un futur où l'homme envoie des vaisseaux spatiaux pour aller effectuer des opérations minières dans le système solaire, Harold Jordan et Volok sont en train de sonder un astéroïde dans la ceinture entre Mars et Jupiter, pour le compte de la société Ferris. Ils reçoivent un message comme quoi un autre tandem a découvert un gros filon sur un autre astéroïde, et que par voie de conséquence leur mission est annulée. Jordan (un ex-pilote de la NASA) décide de terminer son exploration de l'astéroïde avant d'obtempérer. Il découvre un vaisseau spatial a demi enterré. Malgré les consignes, il décide de s'y introduire pour voir ce qu'il contient. Il est rejoint par Volkov. À l'intérieur, il découvrir un robot de forme humanoïde à la taille imposante, à la surface abimée par l'usure du temps. Un peu plus loin dans les entrailles du vaisseau, Volkov découvre une batterie en forme de lanterne, émettant une douce lumière verte. Jordan arrive devant un extraterrestre avec une poutrelle métallique fichée en pleine poitrine et un anneau vert au doigt.


Alors qu'ils continuent à avancer dans le vaisseau, Volkov et Jordan perçoivent un bruit de frottement : le vaisseau est en train de glisser de son perchoir. Ils parviennent à en sortir de justesse. Volkov a ramené avec lui la lanterne et l'anneau. De retour dans leur propre vaisseau, Volkov passe l'anneau au doigt et touche par mégarde la batterie. Il se produit une déflagration d'énergie verte qui occasionne une brèche dans la coque du vaisseau. Volkov est aspiré dans l'espace avec la batterie. Alors qu'il tentait de le ramener dans l'abri du vaisseau en l'agrippant par la main, Jordan se retrouve avec seulement l'anneau dans la sienne. Il est soudain enveloppé d'un halo vert. Il tente de rejoindre le vaisseau orbitant autour de l'astéroïde, mais les astronautes lui indiquent qu'ils ne peuvent l'accueillir à bord, pour des raisons de risque de contamination. Alors que Harold Jordan réfléchit à ce qu'il va pouvoir faire, il est violemment percuté dans le dos par une forme humanoïde.


Avec la collection Earth One, l'objectif de l'éditeur DC Comics est de disposer de produits dans un format plus noble que celui des comics habituels pour pouvoir les distribuer dans les librairies non spécialisées. Pour ce public, DC a demandé à quelques auteurs triés sur le volet de réaliser des histoires mettant en scène leurs personnages mais sous une forme repensée, et en repartant de zéro pour qu'ils soient accessibles à un public qui ne les connait pas. C'est ainsi que le lecteur a découvert Superman Earth One (2010) par Joe Michael Straczynski & Shane Davis, Batman Earth One (2012) par Geoff Johns & Gary Frank, Teen Titans Earth One (2014) par Jeff Lemire & Terry Dodson, et Wonder Woman Earth One (2016) par Grant Morrison & Yanick Paquette. Ces titres ont connu une ou deux suites, et DC sort les nouveautés au compte-goutte. Lorsqu'il prend connaissance du projet Green Lantern, le lecteur estime a priori qu'il est digne d'intérêt car les auteurs Corinna Bechko & Gabriel Hardman sont également les auteurs d'une série mêlant science-fiction et politique fiction de haut vol : Invisible Republic.


Réinventer un personnage aussi iconique que Green Lantern (ou les autres) tient de la gageure, car il faut en garder l'essence, tout en proposant une version moins ancrée dans des origines enfantines. Le défi pour les auteurs réside donc dans les choix qu'ils font, dans leur capacité à réaliser un récit qui tienne la route de manière autonome pour les nouveaux lecteurs, mais aussi à proposer une version susceptible de plaire au lectorat des comics de superhéros. Or ces derniers savent par avance les événements qui vont survenir dans l'histoire. Effectivement, Harold (et plus Hal, mais c'est un changement mineur) trouve un anneau vert nécessitant d'être rechargé dans une batterie ayant une forme de lanterne verte. Effectivement, il va rencontrer d'autres individus porteurs de ce même équipement. Effectivement, il a tout à apprendre. Pourtant les auteurs introduisent un décalage dès la première page, puisque le récit ne se déroule pas au temps présent, mais dans un futur indéterminé. En plus l'histoire commence dans l'espace, sans passage par la Terre.


Corinna Bechko & Gabriel Hardman jouent le jeu de proposer une variation sur la version canonique du personnage, tout en reprenant les caractéristiques principales. Le lecteur habitué des comics joue lui le jeu d'anticiper ce qu'il va retrouver des éléments habituels de la série. Il ne peut pas être surpris par l'inclusion de tel ou tel personnage, ou par la dynamique entre les porteurs d'anneaux et ceux qui les ont construits. Néanmoins les coscénaristes réussissent à faire en sorte qu'il ne puisse pas reconnaître un enchainement d'événements déjà utilisé. Du coup, le lecteur de comics découvre bel et bien une histoire nouvelle, avec plusieurs surprises qui ménagent habilement les attendus de la mythologie des Green Lanterns, et des variations qui font sens. Le lecteur novice découvre une histoire qui prend le temps d'installer son héros, de raconter la découverte de l'anneau, de montrer qu'Harold Jordan ne sait pas comment l'utiliser faute de mode d'emploi, et d'ouvrir progressivement l'horizon du récit.


Gabriel Hardman réalise des dessins descriptifs avec un bon niveau de détails, ce qui donne de la consistance à cet environnement de science-fiction. Ses traits de contours présentent quelques aspérités et quelques angles, ce qui donne l'impression d'une réalité soumise à l'usure du temps, un peu rêche et abrasive, pas forcément très accueillante pour la vie humaine. Les contours des aplats de noir présentent les mêmes caractéristiques, avec des irrégularités, et soit une surface uniformément noire, soit un remplissage plus charbonneux et irrégulier. À nouveau ces particularités participent à écrire un environnement un peu âpre. Il représente des êtres humains à la morphologie normale, bien découplé pour Harold Jordan, mais sans musculature surdéveloppée, ou même entretenue par la musculation. Sans grande surprise, les représentants des différentes races extraterrestres ont tous une morphologie anthropoïde, avec quelques petites différences quant à la couleur de peau, la forme du crâne ou le nombre de doigts.


L'artiste conçoit des combinaisons spatiales proches de celles existant dans la réalité, se tenant à l'écart des stéréotypes visuels des comics de superhéros. De la même manière, les engins spatiaux terriens restent proches des formes que l'on connaît pour les satellites et les navettes spatiales. Ceux utilisés par différents extraterrestres attestent d'une technologie plus avancée, tout en conservant des formes utilitaires et pragmatiques. Il en va de même pour les tenues vestimentaires qui restent utilitaires et qui ne reprennent pas les caractéristiques des costumes de superhéros. L'histoire emmène Harold Jordan sur d'autres planètes, mais majoritairement dans des zones naturelles, ou industrielles, Hardman n'ayant donc pas à concevoir des architectures d'autres cultures. Il réalise donc à nouveau des décors fonctionnels. S'il n'y prête pas attention, le lecteur ne se rend pas compte que la densité de décors n'est pas très élevée. C'est justifié par le nombre de séquences se déroulant dans l'espace ou dans des zones désertes. Jordan Boyd effectue un travail de mise en couleurs, le plus souvent discret (sauf lors de l'utilisation des anneaux), installant une ambiance dans une scène par le biais d'une couleur dominante, ajoutant une peu de relief aux surfaces avec des dégradés très limités. Il se lâche beaucoup plus lorsque l'énergie verte est libérée par les anneaux.


Les dessins de Gabriel Hardman ressemblent quasiment à un reportage quand il s'agit d'activités ordinaires. Le lecteur note qu'il conçoit des plans de prise de vue, avec des mouvements de caméra permettant de voir les mouvements des personnages pendant les discussions, accompagnant les échanges verbaux. L'artiste se révèle redoutable pour la mise en scène des affrontements physiques, à la fois pour les effets pyrotechniques des anneaux (bien complémentés par la mise en couleurs), à la fois pour la force de frappe des coups, avec des angles de vue qui souligne la brutalité des impacts. Il sait tout aussi bien gérer les scènes de foule, que ce soit par les vues d'ensemble, ou par la gestion du placement des figurants. Le lecteur peu familier des histoires des Green Lanterns peut un instant être décontenancé par la luminosité de la manifestation de leurs pouvoirs, mais c'est à la fois cohérent avec a version de l'univers partagé DC, et avec le principe qu'il s'agit à la base de policiers de l'espace, et qu'ils souhaitent être reconnaissables lors de leurs interventions, par les personnes à qui ils viennent en aide.


Les auteurs ont fort à faire dans ce premier tome, pour à la fois exposer la mythologie associée aux Green Lanterns à partir de zéro, pour raconter une histoire, et pour étoffer un peu leur personnage principal. Pour ce dernier, ils restent dans un schéma très classique d'individu cherchant l'aventure (il a été un pilote de la NASA), ayant vu la conquête de l'espace devenir une entreprise capitaliste comme les autres, et se faire arnaquer quand il est passé dans le secteur privé. Il s'agit donc d'un homme prêt à risquer sa vie mais un peu désabusé. Concernant l'intrigue, Bechko & Hardman doivent bien raconter comment Harold Jordan a acquis un anneau, comment il a appris à maîtriser les fonctions de base, d'où sortent ces anneaux, et s'il reste d'autres porteurs d'anneau. Ils sont donc contraints de suivre une intrigue bien balisée, et pourtant ils réussissent à jouer avec les attentes du lecteur et à le surprendre à plusieurs reprises. S'il a lu Invisible Republic, le lecteur ne pas s'empêcher d'en faire le rapprochement, et il constate que la dimension politique reste bien présente dans ce tome d'Earth One, mais moins développée. Par ailleurs, le point de vue sur différentes formes d'écosystème ne se retrouve pas dans ce tome. Il n'empêche que les auteurs font apparaître que le projet des Oans (les créateurs des lanternes) est d'ordre totalitaire, même s'il part d'un bon sentiment. Ils surprennent plus le lecteur avec la place et le rôle qu'ils réservent à Harold Jordan. Ils n'en font pas un héros tout puissant qui résout tout par la force de sa volonté. De lui-même, Jordan constate que la situation dépasse le niveau du simple individu et qu'il faut rechercher une solution collective dont il n'est pas forcément le pivot central.


Ce premier tome (en espérant qu'il y a en aura d'autres) de Green Lantern version Earth One remplit parfaitement les objectifs qui lui ont été assignés : un récit complet qui peut être proposé à des lecteurs qui ne font pas partie du public habituel des comics, une version de Green Lantern un peu différente et moins infantile dans son origine. Gabriel Hardman réalise des dessins un peu durs et sérieux, avec un savoir-faire de bon niveau, à la fois pour les séquences de science-fiction, et pour les affrontements physiques. Le scénario sait ménager les différentes obligations : exposer l'histoire des anneaux de pouvoir, donner une personnalité à Harold Jordan, et raconter une histoire qui se tient. Cette nouvelle version ne constitue pas une révélation sur le personnage, mais en constitue une bonne variation moins superhéros.

Presence
9
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le 19 oct. 2019

Critique lue 185 fois

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