Au risque de passer moi-même pour un gros dégueulasse, voilà la BD dont j’ai envie de parler aujourd’hui. Il s’agit bien d’une critique aussi objective que possible, d’une BD qui répond parfaitement à la fameuse question ingénue que Jean Seberg pose à Jean-Paul Belmondo dans A bout de souffle (Jean-Luc Godard - 1960) : « C’est quoi dégueulasse ? »
Inspiré par un homme qui vivait non loin de la rédaction du journal satiriste Hara-Kiri auquel Jean-Marc Reiser a collaboré, le gros dégueulasse est un homme d’âge mûr qui vit chichement et n’espère plus grand-chose de la vie. Il est hirsute et grassouillet, tellement peu soigné qu’il se promène juste vêtu d’un slip kangourou. Un slip qui a beaucoup vécu, larges tâches (jaune devant brun derrière) et lâche au point de laisser apparaître ses couilles violacées. A l’occasion il a une clope au bec. Revenu de tout, il ne se gêne pas pour provoquer ses semblables qui eux ont encore une place (plus ou moins enviable), dans la société de consommation. Ne tournons pas autour du pot, il s’en prend surtout aux femmes. Pourquoi aux femmes ? Mesdames sachez-le, le gros dégueulasse (qui n’a pas de nom, c’est sans doute mieux ainsi) n’hésite pas à s’afficher misogyne (misanthrope me soufflent -Piero- et Bernard-Blaise Posso). On peut le prendre au premier degré et n’y voir que provocation bête et méchante. Cette BD me faisant toujours autant rire des années après l’avoir découverte, je pense qu’il y a plus. Le personnage central ne fait pas que se montrer répugnant et provocateur. On sent que son comportement révèle une sorte de désespoir. Comme il ne lui reste plus rien, il s’amuse parce que le rire est son dernier recours. Malgré son comportement inqualifiable, ce qu’il cherche c’est à côtoyer ses semblables, montrer qu’il est humain et qu’il existe, tout simplement.
Assez grossier, le dessin est en noir et blanc. Il s’agit d’une suite de petites histoires de une à quatre planches où Reiser s’en prend à beaucoup de personnages. Désœuvré, le gros dégueulasse s’amuse comme il peut, souvent aux dépens des autres.
Pour donner une idée de son comportement, le voilà sur un marché à regarder des fraises présentées sur des cageots posés sur tréteaux. A la femme qui se tient derrière, il demande si elle ne pourrait pas mettre un plastique sur ses fraises, parce qu’elles attirent les mouches qui viennent ensuite sur ses couilles, ce qui l’irrite. Effarement de la femme qui le voit éternuer sur les fraises en question. L’énervement se lit dans ses yeux, ses cheveux se dressent et sa posture est très parlante quand elle lui hurle de postillonner ailleurs. Comme il insiste, elle gueule que ses couilles, elle s’en fiche. Tranquillement, il lui fait remarquer que les mouches vont de ses fraises à ses couilles et non l’inverse… ce qui lui permet de poursuivre son raisonnement très personnel ! Tête et attitude de la femme qui se retient pour ne pas l’étrangler ! Le décor se limite au strict utilitaire et le dessin ne fait surtout pas dans l’esthétisme, mais quelle efficacité !
Autre exemple quand il entre dans des toilettes pour femmes (quel homme n’est jamais entré du côté femmes car le côté hommes était inaccessible ?) Finalement non, il vaut mieux que vous profitiez par vous-même de la situation. Encore un tête-à-tête très électrique que le gros dégueulasse conclue ainsi « Et voilà, encore une femme qui gardera un souvenir impérissable de moi toute sa vie » sourire satisfait, bras écartés.
Que dire ? Oui ça manque de finesse et on ose à peine avouer qu’on est tordu de rire. Amies féministes, la lecture de cette BD fera dresser vos cheveux sur vos têtes. Elle pourra néanmoins se révéler instructive en vous montrant la déchéance d’un homme n’ayant plus aucun espoir de vous séduire. Quant à vous messieurs, si cette BD ne vous fait pas rire, c’est qu’une nuée de femmes aussi charmeuses qu’irrésistibles sont à vos pieds. En ce qui me concerne, non je le jure, je n’ai jamais lâché de pet silencieux et odorant, juste avant de sortir d’un ascenseur où je me trouvais en tête-à-tête avec une charmante jeune femme, dans un bâtiment regorgeant de jeunes cadres dynamiques…