Happy de Grant Morrison et Darick Robertson, c’est un peu comme mélanger un polar noir bien poisseux avec un arc-en-ciel fluorescent : ça surprend, ça fascine par moments, mais ça finit par donner mal à la tête. L’histoire de Nick Sax, un ex-flic déchu et cynique qui se retrouve guidé par un petit cheval bleu volant nommé Happy, est un cocktail d’idées folles qui peine parfois à trouver son équilibre.
Dès le départ, Morrison plonge son lecteur dans un univers crasseux, où la violence graphique et verbale est omniprésente. Nick Sax est le cliché assumé du détective à la dérive, un anti-héros qu’on suit avec une sorte de fascination morbide. L’arrivée d’Happy, cette étrange créature imaginaire qui ressemble à une mascotte échappée d’un dessin animé sous LSD, aurait pu injecter une légèreté bienvenue. Mais cette alliance improbable entre noirceur absolue et féerie colorée fonctionne de manière inégale, oscillant entre le génial et le grotesque.
Visuellement, Darick Robertson fait un excellent travail pour capturer l’horreur et la saleté du monde de Nick. Ses planches regorgent de détails crasseux qui collent à l’ambiance sordide de l’histoire. Les scènes où Happy apparaît apportent un contraste saisissant, mais parfois un peu trop forcé, comme si le petit cheval bleu avait été collé à la dernière minute pour ajouter une touche d’absurde. Ce décalage est efficace au début, mais perd de son impact à mesure que l’histoire avance.
Le scénario de Morrison, bien que bourré d’idées originales, donne parfois l’impression d’être en pilote automatique. L’intrigue principale – un kidnapping avec des enjeux de plus en plus violents – est classique, et les rebondissements, bien que choquants, manquent de la profondeur qu’on pourrait attendre d’un auteur de ce calibre. Happy lui-même, malgré son rôle crucial, semble parfois sous-exploité, comme une blague qui ne va pas au bout de son potentiel.
Le principal problème de Happy, c’est qu’il ne sait pas toujours sur quel pied danser. Est-ce une satire sombre ? Une exploration psychologique ? Un délire trash assumé ? Le mélange de tons déstabilise plus qu’il ne séduit, et on ressort du récit avec le sentiment d’avoir vu une expérience un peu bancale, malgré ses moments de génie.
En résumé : Happy est une lecture déroutante qui tente de marier le cynisme du polar noir avec l’absurde du cartoon, mais qui ne parvient pas toujours à tenir ses promesses. Une œuvre qui plaira aux amateurs d’expérimentations déjantées, mais qui risque de laisser les autres perplexes. À lire pour le choc des genres… et pour se demander ce que Grant Morrison avait dans son café ce jour-là.