Fascinante biographie que celle-là, surtout venant de Shotaro Ishinomori, mangaka découvert dernièrement et dont je continue tranquillement de découvrir les oeuvres avec toute ma lenteur habituelle. On pouvait s'y attendre évidemment, l'auteur nous délivre quelque chose de peu orthodoxe, où le prologue et l'épilogue servent à aborder un immense flashback destructuré où chaque chapitre aborde un moment plus ou moins supposé/imaginé de la vie de l'artiste. On bondit alors de 40 ans à 50 pour ensuite aller à 80 puis revenir à 65 ou 55. On remarque même un ou deux chapitres où le style de dessin d'Ishinomori se fait complètement brouillon, comme si l'auteur avait commencé par ces chapitres là pour revenir quelques années plus tard à ce projet avec plus de matière. Cela dit même si ce laisser-aller (Eros X SF n'a nullement ce problème graphique) est un peu surprenant, cela ne gâche en rien le portrait succulent qu'en fait le mangaka.
On a affaire à un artiste bougon, à l'égo parfois démesuré qui sacrifie tout à son art, même sa propre famille, ne vivant que pour le dessin. Un personnage donc pas si éloigné du portrait en filigranne qu'on pouvait apercevoir dans Miss Hokusai, sorti dernièrement en salles. Mais ici, l'artiste est également un homme à femmes qui aiment bien régulièrement tremper son pinceau quand il ne repart pas sur les routes avec un ou deux disciples pour une poignée de croquis. Le tout agrémenté d'une poignée d'humour et de malice. A travers le portrait de cet artiste cherchant sans cesse à se réinventer même jusqu'à son lit de mort, c'est la condition d'artiste que revendique Ishinomori. Il y a d'ailleurs des conseils presque métaphysiques sur le dessin par moment sans que l'on sache si cela a pu venir de l'expérience d'Hokusai ou de celle du mangaka. Qu'importe, cela reste des plus passionnant.
Ishinomori a de plus l'excellente idée de mêler l'anecdotique à ce qu'on connaît ou imagine savoir. Et de régulièrement entremêler des oeuvres d'Hokusai qu'il redessine pour les besoins de l'histoire comme autant de "marques-pages" historiques ou arrêts hors du temps dans le récit qui nous font d'autant plus entrer dedans. On a donc l'aspect futile et très humain de l'homme d'un côté (femmes, aventures, escapades, engueulades historiques avec son éditeur ou un collaborateur...) et les oeuvres intemporelles de l'autre, qui font le lien.
Et bien sûr à nouveau, des cadrages, des scènes fabuleuses, oniriques et pourtant ancrées dans la réalité de ce que pouvait connaître l'artiste. Il suffit d'un rien, du vent qui passe, d'une formation de nuages, de vagues observées, qui passent par les prismes d'Ishinomori/Hokusai. Et l'ensemble se dévore quasiment d'une traite, si il y avait besoin de le préciser.