La biographie de Hokusai signée par Shôtarô Ishinomori, l’un des grands maîtres du manga disparu en 1998, auteur entre autres des magnifiques Sabu et Ichi ou Kuzuryu, ressort en français à l'occasion de l'expo au Grand Palais. Evitant toute linéarité, elle débute lorsque, à 42 ans, celui qui se fit appeler Shunrō, puis Sōri, répudie son nom pour devenir Hokusai, en référence à la Grande Ourse (Hokutosei).
Plutôt que de se borner à un exercice purement scolaire décrivant le peintre de sa naissance à sa mort à partir de faits historiques avérés, Ishinomori met en scène des épisodes de la vie du maître, et s’autorise de nombreux aller-retour d’un âge à un autre. Il peint le portrait d’un homme dévoré par sa passion pour le dessin, aux ambitions tellement grandes qu’une vie ne lui suffisait pas. Chaque changement de nom devient ainsi une façon de se redonner une nouvelle vie et d’essayer, de rater, de recommencer encore jusqu’à parvenir à un contrôle parfait. Une maîtrise évidemment picturale, Hokusai changeant d’école comme d’amante, idéal qui le poussa à vivre en marginal, en retrait de la communauté des hommes, abandonnant régulièrement amis, femmes et disciples.
Ishinomori, qui rappelle dans sa postface que le peintre déménagea plus de quatre-vingt-dix fois, décrit un artiste en perpétuel mouvement. Sur la route entre Edo (Tokyo) et Nagoya pour réaliser ses carnets de croquis (les fameux Hokusai Manga), à travers champs pour inspecter le mont Fuji sous tous ses angles… Ayant adopté la fuite comme mode de vie, le maître est tantôt révéré par la foule d’Edo venue le voir réaliser des peintures géantes, tantôt réduit à un état de quasi-mendicité, victime de cet anonymat qui doit lui permettre de faire disparaître l’artiste pour ne laisser que l’art. Il a été jusqu’à léguer le nom de Hokusai à un de ses disciples.
Ishinomori revisite ainsi l’œuvre mouvante du «Vieux fou de dessin». Des croquis naturalistes aux esquisses en un trait (qui lui valent d’être surnommé le père du manga) en passant par les estampes. Certaines, comme «les Trente-Six Vues du mont Fuji», sont reproduites par Ishinomori avec un scrupule d’enlumineur qui tranche avec son trait si vif et précis, tandis que d’autres détails des œuvres de Hokusai viennent se glisser plus discrètement dans certaines planches. La biographie elle-même ressemble à la Grande Vague de Kanagawa: tumultueuse, elle suit le rythme du ressac, le peintre semblant parfois crouler sous le poids des années avant de renaître au chapitre suivant.