Une évidence pour commencer : le graphisme est d'une beauté époustouflante et il justifie à lui seul la lecture de cet album particulièrement soigné. Avant même la lecture du pitch, c'est la raison qui m'a poussé à embarquer ce titre sous le bras. Avec son dessin très précis, ses décors fourmillant de détails sans tomber dans l'ultra-réalisme, ses couleurs amoureusement chaudes et ses planches construites avec originalité, Paul Gastine crée une atmosphère envoûtante qui garantit à elle seule la réussite de l'ouvrage. C'est typiquement le genre de titre qu'on aime avant même de l'avoir lu et qu'on a plaisir à feuilleter. Sa sublime couverture en dit, de toute façon, déjà beaucoup sur la qualité de ce qui nous attend tout au long de cette soixantaine de pages. En bref, plastiquement parlant, Jusqu'au dernier est une tuerie.
Je suis, en revanche, beaucoup plus réservé sur son récit qui manque cruellement d'équilibre. À une époque où chaque nouveau titre qui sort nous embarque dans une saga sans fin, on apprécie de tomber sur un one-shot sauf qu'on se rend compte qu'il est difficile de tenir la distance même sur un soixante pages. Les personnages manquent de lisibilité, leurs réactions semblent par moments totalement incongrues et on ne parvient pas à s'attacher à eux. Une fois l'histoire lancée, les nombreuses ruptures de ton et les rebondissements abrupts déconcertent. On cherche vainement à se raccrocher à tel ou tel personnage en se retrouvant à chaque fois déçu ou décontenancé. C'est certainement aussi le parti-pris de Jérôme Félix que de refuser à son lecteur ce rapprochement avec les personnages. Jusqu'au dernier est un titre noir, presque nihiliste, à ranger dans la lignée des westerns créspuculaires de Sam Peckinpah même s'il s'achève, paradoxalement, sur une planche optimiste. Certainement trop optimiste, par ailleurs, pour être totalement convaincante tant elle fait écho, dans la conduite du récit, à certains éléments caricaturaux.
On est ainsi difficilement convaincu par plusieurs passages où noirceur des personnages et naïveté de la narration cohabitent plutôt mal. À la fin du récit, l'aveu du maire à ses habitants effarés sur les événements qui viennent de se dérouler est l'illustration même de cette distance entre l'intention et le résultat. Tout cela manque de nuance, voire de pertinence. On ne peut, en outre, s'empêcher de penser que la construction de l'ensemble est maladroite. Un récit en flash-back, par exemple, aurait assuré davantage de tension et évité ces étranges ellipses qui surviennent par endroits. Et, bien évidemment, un titre en deux tomes aurait apporté davantage profondeur aux personnages qui ne font, au final, que passer sans véritablement s'ancrer dans le récit. On a ainsi le désagréable sentiment que l'histoire, trop schématique et mal racontée, n'est pas à la hauteur de la réussite visuelle de l'album. Dommage.