Le Joker s'est à nouveau échappé de l'asile d'Arkham. Il a cette fois pour objectif de prouver la capacité de n'importe quel être humain de sombrer dans la folie après un traumatisme. Pour sa démonstration, il capture le commissaire Gordon et le soumet aux pires tortures que l'on puisse imaginer.
Nous y voilà! La BD qui m'a rendu accroc à Batman, qui m'a fait aimé les comics et plus globalement considérer la BD en tant qu'Art à part entière. Une révélation autant qu'un traumatisme. Cette plongée vertigineuse dans la psyché des personnages, une œuvre de laquelle émane une radicalité à toute épreuve, tant au niveau de la forme que du fond. Une BD de super-héros qui délaisse totalement l'action, pour se concentrer sur la folie du Joker, mais aussi sur la pente glissante de sa relation avec Batman et Jim Gordon. Comme si, pris d'une lucidité terrifiante et guidé par une effroyable volonté de mettre à mal les fondements mêmes de son existence, l'éternelle Némésis prenait le contrôle du comics en en brisant les codes et les tabous.
Agressant directement le chef de la police à son propre domicile, avant de l'emmener contre sa volonté dans un parc miteux, non sans avoir laissé un souvenir indélébile de son passage sur une de ses proches de même qu'une fidèle alliée de la chauve-souris (avec cette scène-choc imprimée de manière indélébile dans mon esprit!).
Torturant physiquement et psychologiquement un homme d'âge avancé, et le principal représentant des institutions de Gotham, le Joker s'impose d'emblée dans cette histoire comme un véritable malade, une engeance démoniaque contestant le bon déroulé des choses et assénant aux autres personnages comme au lecteur une troublante introspection. Partant dans un monologue teinté de profond nihilisme, le scélérat imprègne l'Univers du chevalier noir d'une vision aussi désespérée que risible. Dans un décors aux allures de fête foraine délabrée faisant explicitement référence à "Freaks, la monstrueuse parade", et en entrecoupant la narration de flash-back d'une (possible?) origin story du personnage, Alan Moore fait naviguer le spectateur en eaux troubles, jusqu'à une fin d'un pessimisme absolu, peu importe comment on l'interprète. L'ambiance pestilentielle et la noirceur disséminée au sein de ce récit en "one-shot" en font un incontournable de l'histoire des comics. Un bijou d'étude psychologique et de narration qui inspirera la plupart des adaptations filmiques, bien que la plupart des gens retiennent plus volontiers "Dark Knight return" et "Un long Halloween" (étant donné que les références y sont plus explicites).
Coté technique, le style de Brian Bolland se marie magnifiquement au scénario, avec un travail esthétique incontestablement brillant, sublimé par un découpage millimétré, de même qu'un sens du détail et de l'expressivité démentiel. L'enchainement des cases, le jeu sur les contrastes et les ombres, le sens de la composition du cadre, les valeurs de plan employées... Tout concourt à faire de "The Killing Joke" une œuvre monumentale de maitrise! Seul regret, la recolorisation de l'album qui vient quelque peu entacher le ressenti. (Pour reprendre les paroles d'un artiste: "pourquoi refaire ce qui est déjà parfait?").
Pour le reste, "The Killing Joke" reste une valeur sûre, un must du comic-book à découvrir, si ce n'est déjà fait! Et une œuvre qui ne vous laissera pas repartir indemne!