Désireux d'en apprendre plus sur le personnage du Joker, que je ne connais qu'à travers les œuvres cinématographiques de Nolan et de Burton, ainsi que les séries animées de Batman, et voulant lire des comics, j'ai mis la main sur Killing Joke, qui se veut être l'un des comics (voir même LE comics) sur le fameux némésis du Chevalier Noir.


Tout juste évadé d'Arkham, le Joker décide de s'en prendre au détective Gordon pour attirer Batman et la confrontation est bouclée en 46 planches. La lecture de Killing Joke est donc (trop ?) rapide et fluide. J'ai beaucoup apprécié que la narration soit entrecoupée de flash back, centrés sur la back story du Joker, qui n'est pas sans rappeler celle de Batman de Tim Burton et qui est faite de manière habile puisque les transitions sont faites comme dans un film car la dernière case du présent répond à la première case du passé et inversement, ainsi que cette fin qui est, comme je l'avais entendu dire, ambiguë et qui laisse le lecteur sur deux dernières pages fantastiques où les deux ennemis sont, comme jamais, présentés comme les deux faces d'une même pièce.


Killing Joke nous présente une version authentique du personnage du Joker : un comédien raté qui cherchait avant tout à subvenir aux besoins de sa femme et de son enfant à naître et qui baisse tout simplement les bras après avoir perdu sa famille. Dans le fond, le Joker est une personne sans histoire ! Ici ce qu'il cherche à démontrer en essayant de rendre fou Gordon, c'est que tout le monde peut perdre la raison après une mauvais journée. J'aime d'ailleurs beaucoup la case où le Joker dit à Batman "tu connais ça, toi, hein ? J'en suis sûr. Une mauvaise journée, et ta vie a changé. Sans ça, pourquoi te déguiserais-tu en rongeur volant ?", suivi par un "comment en es-tu arrivé là ?" qui souligne parfaitement le "comment peut-on se haïr à ce point sans même se connaître ?" de Bruce. Le comics insiste donc sur la relation entre Batman et le Joker, deux ennemis cultes, qui ne cessent de se confronter, encore et encore, alors que ni l'un ni l'autre ne se connait vraiment : aucun des deux ne sait comment l'autre en est arrivé là où il est. Le fait d'avoir fait une back stroy du Joker était donc assez risqué, sans compter que Batman est impliqué, au dernier moment, dans sa transformation. Mais au final, c'est finement joué puisque Bruce n'a aucune idée qu'il est responsable de la "naissance" du Joker.


Pour revenir sur la manière dont est traitée la relation entre les deux protagonistes, je trouve que Christopher Nolan, avec The Dark Knight, reprend pas mal d'idées du comic book d'Alan Moore car, d'une part, le Joker veut plonger Gotham dans la folie (pour changer) mais aussi et surtout en soulignant la solitude du clown psychopathe. Si cet aspect ne semble pas primordiale dans le long-métrage, une réplique de Batman à la fin du film ( "que cherchais tu à prouver ? Qu'au fond tout le monde est aussi pourri que toi ? Tu es tout seul.") fait écho à une autre réplique du Chevalier Noir, tirée cette fois de Killing Joke : "Au fait, j'ai vu Gordon juste avant de te suivre. Il va bien. Malgré tout ce que tu lui as fais subir, il est sain d'esprit. Alors peut être que tout le monde ne craque pas. Peut être que tout le monde ne se réfugie pas dans le délire quand les choses vont mal. Peut être que c'est juste toi". Finalement, le but ultime du Joker (du personnage même) ne consiste t-il pas à fédérer ou, autrement dit, à prouver que tout le monde peut basculer comme il l'a fait ? Que plonger dans la folie est ce qu'il y a de plus de censé à faire lorsque l'on vit dans un monde "à ce point psychotique" (on peut citer ici la version de Heath Ledger : "je suis juste en avant sur la courbe" ("I'm just ahead of the curve" en anglais)) ? Derrière ses excès de violence et de démence, ne se cache t-il pas une profonde solitude ? La dernière case de cette planche ("ce n'est qu'une blague ! Tout ce en quoi nous croyons, ce pourquoi nous luttons, ce n'est qu'une horrible, monstrueuse farce ! C'est si drôle, tu ne le vois pas ? Pourquoi tu ne ris pas ?") m'incite à penser à cela car il s'agit d'une sorte d'appel à l'aide (on le lirait presque dans ses yeux) et une réplique de Rorshach, au sujet du Comédien, dans le comics Watchmen, vient parfaitement souligner ce postulat : "personne d'autre n'a compris la blague. C'est pour cette raison qu'il était seul".


Le Joker voit en Batman son alter-ego mais ne comprend pas pourquoi ce dernier refuse d'admettre qu'il a perdu la raison. Là encore, on retrouve cette idée dans The Dark Knight avec le "ne parle pas comme l'un d'entre eux [les gens "civilisés"] car tu ne l'es pas.... même si tu le voudrais bien. Pour eux, tu n'es qu'un monstre... Comme moi !". C'est pourquoi il semble que le Joker ne cherche qu'une chose : faire sombrer Batman. On peut ici mentionner le face à face final de The Dark Knight Returns dans lequel le Joker dit "j'ai gagné : j'ai réussi à te faire perdre le contrôle". Autrement dit, il ne veut pas tuer le protecteur de Gotham. Cela est rappelé dans le film de Nolan a plusieurs reprises ("je ne veux pas te tuer ! Qu'est ce que je ferais sans toi ? (...) Tu me complètes !"). Batman est à la fois une distraction (la meilleure qui lui ait été donnée) et une chance de salut pour le Joker, tout en sachant qu'il n'arrivera jamais à le corrompre ("je crois que nous sommes destinés à jouer à ce jeu pour toujours"). Ce qui distingue les deux personnages, c'est le fait que le premier a totalement lâché prise et l'autre refuse de le faire en agissant selon un code moral. L'échange de The Dark Knight Returns mentionné plus haut illustre parfaitement cela : "- je n'ai jamais compté le nombre de personnes que j'ai tué. (Joker) - Je l'ai fais. (Batman) - Je sais et je t'adore pour ça. (Joker)". On constate ici à quel point le Joker aime jouer avec Batman : il veut lui faire prendre conscience qu'ils ne sont pas si différents mais, en même temps, il prend grand plaisir à l'affronter encore et encore ("j'adore Le fâcher, c'est ça qui me donne envie de me lever le matin" dit-il au Pingouin dans Joker). Un véritable jeu du chat et de la souris en somme, mais également une véritable obsession ! Cela est souligné dans le roman graphique de Brian Azzarello et de Lee Bermejo centré sur le clown psychopathe qui, après avoir été relâché de l'asile d'Arkham sans que l'on sache vraiment pourquoi, mène une guerre des gangs pour reprendre le contrôle de Gotham, et dans lequel l'ombre de Batman plane sur la ville, avec cette citation "Il est là dehors (...) Il m'observe !".


Enfin, un dernier rapprochement peut être fait entre Killng Joke et The Dark Knight : à deux reprises, le Joker de Christopher Nolan explique d'où viennent cicatrices mais à chaque fois, il s'agit d'une histoire différente. Il y a donc de fortes chances pour que la troisième, qu'il s'apprêtait à raconter à Batman, lors de l'affrontement final, n'échappe pas à la règle. Cela fait écho à une réplique du comics : "j'ai des souvenirs contradictoires... Tant qu'à avoir un passé, autant qu'il existe en plusieurs versions".


Pour revenir au comics d'Alan Moore et de Brian Bolland, en ayant tous ces éléments en tête, il semble évident que la killing joke est une illustration de cette relation si particulière : les "deux mecs dans un asile de fou" sont en réalité le Batman et le Joker. Le premier propose de l'aider pour le réhabiliter (la lampe torche représentant le droit chemin) mais le second sait que c'est "trop tard" pour lui. Il est intéressant de noter ici que les dernières pages présentent le Joker sous un nouveau visage car il semble avoir conscience de sa propre folie. De plus, contrairement au Batman de Burton, le fait que le Joker ne se souvienne pas que Batman soit responsable de son accident permet de développer une intimité (ou proximité) encore jamais vu entre les deux opposants. D'une certaine manière, Arkham Asylum , dans lequel Batman apparaît plus vulnérable que jamais, est le reflet inversé de Killing Joke puisque que dans le roman graphique de Grant Morrison et de Dave McKean, le Joker invite le Chevalier Noir à Arkham pour lui faire comprendre, à sa manière, qu'il y a sa place.


Killing Joke est donc plus centré sur le Joker que sur Batman, mais constitue une pièce du puzzle très intéressante pour analyser leur relation, et profite de belles illustrations (le côté dérangé et maniaque du personnage est parfaitement retranscrit par Brian Bolland) ainsi que d'une belle narration ! La seule chose que l'on pourrait lui reprocher c'est qu'il est trop court ! 8/10 !


P.S. 1 : J'ai trouvé sur internet des extraits de la première édition de 1988 et je dois dire que j'aurais tendance à la préférer à la nouvelle, qui manque peut être de caractère par rapport à la précédente, qui est haute en couleurs !


P.S. 2 : Pour ceux qui n'ont jamais lu de comics, ne vous inquiétez pas : si vous avez un minimum de connaissances sur Batman, vous pouvez apprécier Killing Joke, sans vous sentir perdu !

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le 2 juil. 2016

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