La dernière fois que j'ai ressenti ce frisson devant un comics, c'était devant un des testaments de l'âge de bronze, The Dark Knight Returns (je sais, faut toujours que je lise Watchmen, shame on me). Et Kingdom Come, s'il n'est certainement pas le testament de l'âge moderne, cherche toutefois à remplir le même objectif: s'intéresser aux problèmes du futur...
Dans un futur proche, la première génération de super-héros, surclassée à cause de son incapacité à envisager des solutions définitives, s'est retranchée dans ses bastions, et Superman, publiquement décrédibilisé, a disparu de la vie publique. Mais leur fuite a laissé place à une génération plus radicale et totalement incontrôlable. La frontière entre le bien et le mal n'existe pas pour eux. Lorsqu'un affrontement dégénère et raye le Kansas de la carte des États-Unis, Superman doit se rendre à l'évidence, c'est à lui qu'il revient d'intervenir. En tant que premier super-héros, incarnation du bien, il mettra chaque méta-humain devant un choix: soit rejoindre une Justice League recomposée dirigée par ses premiers membres, soit devenir un ennemi de la paix et être traité comme tel...
Ce qui frappe en lisant cette magistrale mini-série (qui n'appartient pas à la chronologie officielle de DC), c'est la cohérence de l'univers et le respect apporté aux personnages. Superman, par exemple, ne reçoit pas le traitement superficiel qu'on peut craindre: s'estimant capable de tout faire, il prend des risques inconsidérés, bafoue parfois son sens de la justice, croyant qu'il pourra sauver le monde à lui seul. Batman également est sublimé par l'écriture de Waid et le dessin de Ross: débarrassé de son aura de mystère, dans un monde où il ne lui est plus possible de cacher son identité, il n'en reste pas moins désarmant et extrêmement inquiétant.
Tout le gratin de DC Comics se retrouve dans ce véritable chef-d'oeuvre dans un affrontement aux airs d'Iliade. Sérieusement, autant dans le traitement des personnages que dans le caractère épique et profond de l'histoire, jamais la BD ne s'est retrouvée aussi proche de la mythologie. Tous les camps en présence croient avoir le bien de leur côté, chacun sait pourtant que ses actes conduiront à un destin tragique et inévitable.
J'avais peur du style d'Alex Ross, en frileux que je suis, et pourtant je ne peux que louer la précision de son trait, la beauté des couleurs la force et le caractère se dégageant de chacun des très nombreux protagonistes, l'identité visuelle des lieux traversés.
Il est bon aussi de parler de la richesse de l'univers: tout DC est traité, on retrouve des références et traces de partout, une connaissance pointue de l'univers est indispensable pour tout comprendre, et j'avoue modestement être très loin du compte. Toutefois j'ai pu constater notamment de nombreuses références à The Dark Knight Returns, une des grandes sources d'inspiration des auteurs, avec laquelle Kingdom Come partage de nombreuses ressemblances.
Ah, une dernière chose importante, il faut parler de l'édition Urban Comics. Couverture sublime, toujours une grande qualité de papier, mais la réelle richesse se situe dans les compléments à l'histoire: presque une centaine de pages d'interviews, de précisions sur l'univers et d'illustrations commentées, qui permettent d'ailleurs de constater le soin apporté à la moindre case. Ahurissant.
Un bon comics de super-héros se doit de transcender le genre. C'est le cas de Kingdom Come. Certainement l'un des fleurons de chez DC.
À placer dans toute bédéthèque comics qui se respecte.
