Mark Millar et Matthew Vaughn s’associent pour l’écriture d’un comics traitant et parodiant les espions anglais dans le but d’en faire une matière première pour un futur film au cinéma. Les deux compères se connaissent déjà, Vaughn ayant réalisé l’adaptation cinématographique du Kick Ass de Millar en 2010.
Kingsman : The Secret Service est publié de avril 2012 à avril 2013 pour un total de six issues. Il faut attendre 2015 chez nous, en France, pour que Panini Comics publie la série.
Avant même de découvrir cette histoire, le lecteur a conscience qu'il s'agit d'un produit prêt à servir de base à un film, ce qui est le cas. Avec cette idée en tête, il est difficile de lire ce récit, sans rechercher et identifier les éléments qui ont été inclus dans le but affiché de servir d'arguments de vente pour un réalisateur (Matthew Vaughn lui-même).
Première séquence, première impression : il s'agit d'une scène de pré-générique d'un film de James Bond, avec un gros clin d'oeil aux passionnés de culture populaire, grâce à la présence de Mark Hamill. Néanmoins, dans la mesure où Mark Millar est un vrai scénariste, le lecteur bénéficie d'un vrai comics, plus que d'un synopsis. Cela se voit dès la deuxième séquence avec cet enfant qui roule un pétard devant des adultes bas du front et hilares. Ça continue avec Sir Giles qui se plaint des restrictions budgétaires qui l'obligent à justifier ses notes de frais dans des grands restaurants. Millar pointent du doigt les prolétaires ignares et irresponsables, et juste après les privilégiés se gavant.
Tout au long du récit, on ne peut pas se défaire de la sensation que Mark Millar et Matthew Vaughn le flattent à grands coups de clins d'oeil démagogiques. Chaque séquence comporte une ou plusieurs références à la culture geek. Il y a donc ce mélange de James Bond premier degré, avec une technologie bénéficiant d'une légère anticipation. Il y a ces virées avec les potes pas futés de quartier, ce petit jeune qui veut s'en sortir mais qui ne le sait pas, et qui bénéficie d'une chance inouïe grâce à son tonton qui est agent secret. Cette figure paternelle réussit à lever des poulettes avec plus d'aisance que le petit jeune qui peut voir son oncle dans le feu de l'action au lit, grâce à des lunettes high-tech.
En même temps, on constate que les auteurs ne se sont pas moqués de nous. Les pages sont bourrées à craquer d'information, d'action, et d'interaction entre les personnages, tout en restant facilement lisibles grâce aux dialogues travaillés. L'intrigue principale recèle plusieurs surprises intelligentes. Les scènes d'action sont spectaculaires et innovantes, pas seulement décalquées sur les conventions d'un film de James Bond.
Le récit n'est pas seulement calibré pour son coeur de cible, il est aussi écrit de manière fluide et rythmée. Certes certaines explications semblent un peu trop explicites ou didactiques, comme si les auteurs voulaient avoir l'absolue certitude de ne perdre personne, même pas leurs lecteurs un peu moins futés. Certes aucun des clichés propres au film de James Bond n'est épargné au lecteur, mais ils ne servent pas de béquille au récit. Ils arrivent juste à point nommé et sont insérés pour respecter les conventions du genre, sans les questionner ou les déconstruire.
Dave Gibbons effectue un travail rigoureux. Il réalise toujours un découpage de planche qui repose sur des cases rectangulaires. Tout au long de ces épisodes, le lecteur apprécie le juste dosage entre cases dépourvues d'arrière plan, et cases où le décor est représenté. En fait, il faut faire un effort pour se rendre compte que certaines cases ne disposent pas de décor, Gibbons les gérant avec intelligence et parcimonie. Chaque séquence se déroule dans un lieu décrit dans le détail, avec des spécificités qui le rendent unique.
De la même manière, Dave Gibbons a conçu une apparence physique spécifique pour chaque personnage, ce qui permet de les identifier du premier coup d'oeil. Là encore, le réalisme prime, avec des morphologies diverses et variées, et un soupçon de multiculturalisme. Les contours des personnages ou des éléments de décors donnent une impression de légère rondeur et de simplification, mais lorsque le regard s'arrête sur une case ou un détail, il apparaît qu'il ne s'agit que d'une impression et que chaque élément visuel a bénéficié d'une savante composition.
Cette histoire constitue une lecture très agréable et très divertissante, réalisée par des professionnels maîtrisant leur art. Il persiste donc cette sensation de démagogie, plus amusante qu'irritante. Il finit également par émerger un constat plus inattendu. Mark Millar s'assure régulièrement d'insérer également une situation choquante, à l'encontre des bonnes moeurs, ajoutant ainsi une dimension provocatrice. Pourtant, la morale de cette histoire est de nature réactionnaire. Millar et Vaughn ne font pas que se plier aux conventions du genre James Bond, ils les reproduisent avec respect.