Monstre sacré de la bande dessinée, monument de la SF, L'Incal impressionne de prime abord de part la qualité des planches de Moebius, justifiant à elles seules la lecture de cet album. Vous pouvez allègrement vous passer de lire cette histoire et vous contenter de feuilleter l'ouvrage, sélectionner une page, et vous émerveiller des structures titanesques qui se dévoilent, des trognes, des créatures, des vaisseaux, etc. S'affranchissant des standards imposés, Moebius laisse libre cours à sa créativité qui ira croissante de tome en tome dans ce cycle.
Mais une bande dessinée a ceci d'exigeante qu'elle réclame, en plus d'un bon dessinateur (et d'un bon coloriste), un scénariste qui parvient à ferrer son lecteur. A ce niveau là, Alexandro Jodorowsky signe un scénario percutant quoique pressé, oubliant toute subtilité pour enchaîner les péripéties à coups de parpaings dans la figure. Au sortir d'une première lecture, on reste un peu ahuri par cet univers relevant moins de la science fiction que du délire mystique, par cette histoire qui tourne vite au trip sous acides dopés aux hormones. Une seconde relecture s'avère nécessaire pour en profiter pleinement et apprécier son équilibre, sa cohérence derrière sa folie. Cependant, l'impression que le propos de Jodorowsky est ponctué à coups de bâtons de dynamite persiste. Je regrette un peu que les personnages, tous follement charismatiques, ne bénéficient pas de phases plus calmes pour gagner en profondeur, que ce monde galactique esquissé ne soit pas plus étoffé.
Reste le personnage autour duquel gravite L'Incal, John Difool, qui sort indéniablement du lot. Anti-héros par excellence, bougre miteux, lâche, immature, démissionnaire, capricieux... Bref, une créature du neuvième art follement attachante qui à elle seule parvient à susciter l'émotion du lecteur, embarqué dans un monde aussi titanesque que perturbant.
Définitivement une œuvre culte (Et crachez sur la version recolorisée sous Photoshop qui rend la lecture indigeste au possible).