L'Incal nous relate l'histoire de John Difool, détective de bas étage qui se retrouve mêlé à une intrication de complot politique et mystique visant à modeler l'univers entre la lumière et les ténèbres.
Celui-ci évolue sur une planète, Terre 2014, au sein d'une cité en forme de puit où les Aristos, caste dirigeantes se targuant d'une pureté ontologique, côtoient depuis les niveaux proches de la surface le peuple des strates inférieures principalement composé d'un peuple méprisé et méprisant. Mais qu'importe la condition de vie dans cette dystopie glacante, puisque tous sont concernés par des sujets qui font tinter quelques cloches.
La violence barbare et aveugle n'est pas seulement autorisée, elle est arrangée, amplifiée, déconnectée de ses causes et conséquences. L'utilisation de drogues enivrant tous les sens et justement présenté comme un moyen de ressentir quoique ce soit dans les froides entrailles de béton et de téflon. Et les émotions, exacerbées,fustigeantes, aliéné au sein d'un chaos où l'auteur n'a pas besoin de nous perdre en description pour nous en présenter l'essence, tant elles sont vivaces. En somme la chose frappe fort car elle sait se relier à son époque (les années 80 au début de la saga) et la notre. On rit de bon aloi mais tout de même jaune car on sait que la compréhension intuitive des structures organiques déployées pour nous rendre un monde si palpable, crasseux et malgré tout séduisant; est la preuve que nous y sommes reliés d'une facon ou d'une autre.
Les couleurs pétarades à profusion au milieu des très riches décors habilement dessinées et mis en scène pour nous lancer tout comme John dans son échappée. On alterne les conversations d'apparats pour donner de la substance à ce que l'on lit et voit tout en enchainant les lieux les personnages, les thèmes. Jodorowsky nous présente sa dichotomie du bien et du mal sans lyrisme excessif et avec un alliage d'art visuel de caractérisation de son univers et de ses personnages qui ne cesse de venir nous chercher.
On nous parle de clonage présidentielle, d'oeuf noir volant au dessus du crâne du Techno-pape, d'une mouette de béton sachant parler, d'invasion intergalactique, d'un empereur siamois, de prostituée de synthèse et d'amour.
L'amour au sens syncrétique et non limitant par une définition romantique, amical ou autres. L'amour comme leitmotiv pour nous sauver nous ou les autres. Le tout peut, de prime abord, s'apparenter à une monotone rengaine pour des raisons plus qu'évidentes. Mais selon moi dans ce récit il n'y a pas d'idéalisation de l'amour, il est latent, cruel, passionnée, parfois transfiguré, mais reste l'arme absolu. Il ne lui prend jamais de se justifier à nous lecteur mais s'illustre dans tout un tas de rapports, des plus simples au plus complexes, faisant semblant de ne pas être le thème porteur de tout ceci. Un cheminement tout aussi bien pensé puisqu'en miroir l'illustration de la haine, elle aussi décliné en tout sens, prend sa place.
Dans le cynisme qui peut nous être imposé par d'autres oeuvres ou même notre époque, l'Incal sait commenter et montrer un composant essentiel de nos rapports sociaux et avec le social.
Sa réussite majeure est de nous intéresser à son complexe et envoutant système interne de relation de pouvoir et d'amour au travers d'un odyssée qui ne peut que susciter un intense éventail d'émotion, si l'on y est sensible. Le prolifique mélange de science-fiction et de mysticisme sait s'arroger notre attention pour son space-opéra fou furieux, où amour et haine sont complémentaire dans leurs définition du portrait humain.