La Dernière Reine
8.1
La Dernière Reine

Roman graphique de Jean-Marc Rochette (2022)

Pour ce qui pourrait être sa dernière bande dessinée, Jean-Marc Rochette nous gâte avec cette extraordinaire déclaration d’amour à la montagne, aux ours et à la belle Jeanne. Édouard Roux est un colosse roux élevé comme un sauvage par sa mère sur le plateau du Vercors. Cette dernière était un peu sorcière, ne prétend-on pas qu’elle parlait aux ours et aux loups ? Édouard a fait la guerre, il s’est battu et y a perdu son visage. Depuis, Édouard est une gueule cassée, un marginal qui fuit toute société.


Le scénario de Rochette part d’un cruel fait divers, la grande battue qui, en 1898, a vu la mort du dernier ours du Vercors. Or, selon la mère d’Édouard, l’extinction des grands mammifères annoncera la fin de notre monde. Édouard descend d’une longue lignée de paysans montagnards à la chevelure rousse, tous amis des ours. De mémoire d’homme, l’ursidé a toujours régné en maître sur la montagne. Il ne craint pas l’homme, seul l’homme a peur de l’ours. Alors, l’homme s’est lancé le défi de domestiquer la nature et, au fil des siècles, il y est parvenu, il l’a l’avilie.


Une jeune sculptrice animalière parisienne rend à Édouard un visage. Jeanne Sauvage est forte, libre et droite. Avec Jeanne, Rochette propose un très beau personnage. Jeanne et Édouard vont s’aimer. Après un court séjour à Paris, celui de Chaim Soutine, Aristide Bruant et Jean Cocteau, Édouard l’initie à la montagne et à la vie sauvage. Il lui livre ses secrets et l’aide à produire son chef d’œuvre. L’histoire est dure, les mondes de l’art et de la justice n’en sortent pas grandis. Jeanne et Édouard vont lutter, avec courage, mais sans haine. Unis, ils affrontent la bêtise, la malhonnêteté et la maladie. Le ton est froid. Rochette raconte, sans commenter, ni ironiser. Lui qui vit avec sa compagne sur un haut plateau, il témoigne que c’est ainsi que, désormais, les hommes vivent. Les animaux sont moins cruels.


Merveilleusement simple, le dessin va à l’essentiel. Quelques aplats de couleurs froides égayent ses planches, réchauffent ses montagnes. Si ses personnages paraissent sombres et peu expressifs, toute l’émotion passe par le texte. Attention, jamais vous n’oublierez l’histoire de Jeanne et Édouard. Il faut lire, et faire lire, Rochette.


SBoisse
10
Écrit par

Créée

le 13 janv. 2023

Critique lue 246 fois

20 j'aime

Step de Boisse

Écrit par

Critique lue 246 fois

20

D'autres avis sur La Dernière Reine

La Dernière Reine
belzaran
9

Un discours et un langage unique et personnel

Depuis quelques années, Jean-Marc Rochette a fait son retour en bande-dessinée. Un retour remarqué par la reprise de sa saga du Transperceneige, mais également par d’autres livres plus personnels. «...

le 27 oct. 2022

9 j'aime

La Dernière Reine
matvano
9

Voyage crépusculaire au pays des ours

Attention, gros coup de cœur. "La dernière reine" est un hymne à la nature puissant et émouvant, qui s’impose d’ores et déjà comme l’une des meilleures BD sorties en 2022. Ce roman graphique...

le 27 oct. 2022

4 j'aime

La Dernière Reine
Pierrbug
10

Une BD hors du temps lumineuse

Dans la lignée du Loup un bijoux tant pour le scénariot, les dialogues et les dessins. Merci Jean Marc pour ce voyage dans le Vercors et dans le temps avec beaucoup d'amour et d'émotions.

le 3 nov. 2022

2 j'aime

Du même critique

Gran Torino
SBoisse
10

Ma vie avec Clint

Clint est octogénaire. Je suis Clint depuis 1976. Ne souriez pas, notre langue, dont les puristes vantent l’inestimable précision, peut prêter à confusion. Je ne prétends pas être Clint, mais...

le 14 oct. 2016

127 j'aime

31

Mon voisin Totoro
SBoisse
10

Ame d’enfant et gros câlins

Je dois à Hayao Miyazaki mon passage à l’âge adulte. Il était temps, j’avais 35 ans. Ne vous méprenez pas, j’étais marié, père de famille et autonome financièrement. Seulement, ma vision du monde...

le 20 nov. 2017

123 j'aime

12